Haute-Ville, Basse-Ville

charge. L'idée de s'engager de nouveau dans une aventure de ce genre lui répugnait.
    Il repoussa jusqu'au mardi la recherche du nom et du numéro de téléphone de la personne chez qui elle habitait. Puis, il remit de demi-heure en demi-heure le moment d'établir la communication. Il se sentait des timidités de collégien tout à coup. C'était franchement ridicule. Jeudi matin, il composa le numéro, mais raccrocha avant que la première sonnerie ne se fasse entendre. Ces hésitations le mettaient en colère contre lui-même. Quand il fit enfin cet appel au milieu de l'après-midi, il s'était préparé à avoir au bout du fil une vieille dame curieuse, peut-être revêche. Entendre la voix de la jeune fille dès la première sonnerie le prit par surprise. Elle se tenait vraisemblablement à côté du téléphone.
    —    Allô, oui ?
    —    Mademoiselle McPhail? Renaud Daigle à l'appareil. Vous vous souvenez...
    Il s'arrêta. Bien sûr, elle se souvenait de lui: elle n'était pas sénile.
    —    Je me demandais si vous ne seriez pas disposée à sortir.
    —    Comme c'est gentil à vous, dit-elle. Malheureusement, je ne sais pas encore quel sera mon programme pendant les jours à venir. Henri, et bien sûr Elise, doivent revenir de La Malbaie aujourd'hui. Je pourrais me joindre à certaines de leurs activités.
    «Et j'attends auprès du téléphone afin de savoir quand je pourrai revoir le bel Henri », compléta Renaud mentalement. Tout de suite, la place lui parut prise.
    —    Comme c'est dommage. Pour moi j'entends, fit-il d'une voix artificiellement légère. Peut-être une prochaine fois, alors, ajouta-t-il.
    —    Bien sûr, ce serait avec plaisir...
    Elle s'apprêtait à lui dire autre chose, il ne voulut pas l'entendre.
    — Oh ! J'entends frapper à la porte. Excusez-moi, je dois vous laisser. Bonne fin de semaine.
    Sa réponse à elle se perdit quand il abaissa le combiné.
    « Bon, se dit-il. Qu'est-ce que je fais maintenant ? » Parfois des décisions irréfléchies orientent le cours des choses pour toute une vie. Bien plus, celles-ci sont habituellement triviales et mal fondées. Renaud Daigle entendait ne pas rester passif face à ce qu'il considérait comme une rebuffade. Sur Terre, les femmes se comptaient en plus grand nombre que les hommes. Sept ans après la guerre, cela était cruellement vrai dans tous les pays d'Europe et d'Amérique, surtout dans le groupe d'âge de Renaud. Il n'allait certes pas déprimer parce que l'une d'entre elles ne voulait pas le voir.
    Peut-être sensée, cette attitude souffrait cependant d'une certaine précipitation. S'il laissait le terrain à Henri, la belle Helen serait bientôt inaccessible. Toutefois, à quelques centaines de mètres de chez lui, dans l'heure suivant la fin de leur échange, la jeune Irlandaise reçut un appel d'Elise. Contre toute attente, Henri prolongeait sa retraite à La Malbaie. Helen ne pouvait tout de même pas rappeler Renaud pour lui dire qu'elle se trouvait désormais disponible, surtout pas après la fin abrupte de leur conversation. Elle passerait donc la fin de semaine à se languir d'Henri, plutôt que d'apprendre à apprécier Renaud.
    Quant à Renaud, il reprit le téléphone. Il y avait une jeune femme belle, grande, vraisemblablement passionnée - il se rappelait avoir entendu parler de la chaleur de la braise qui couve sous la cendre -, Elise. Séduisante, appartenant à son milieu social, elle incarnait l'union rêvée. Si en 1914 Renaud s'était inscrit à l'Université Laval, il aurait très bien pu jeter son dévolu sur elle au terme de ses études. La vie les aurait menés aux mêmes bals, aux mêmes réceptions, lui un peu vieux, elle un peu jeune, mais rien pour empêcher une union entre des gens socialement aussi bien assortis. Il décrocha donc le téléphone et commença à composer le numéro des Trudel.
    L'homme arrêta son geste. D'abord, était-elle déjà revenue de La Malbaie? Ensuite, voulait-il vraiment se faire inviter chez les Trudel et voir Helen minauder avec Henri? Pire, voulait-il donner à cette gamine l'impression qu'Elise était en quelque sorte son prix de consolation? Son orgueil lui lit renoncer à appeler Élise.
    Une seule certitude s'imposait à son esprit: ne pas rester à se morfondre alors que la moitié des femmes de l'humanité attendaient un homme aussi bien que lui. Dans les faits, il connaissait cependant une seule autre femme à Québec.
    Un peu avant