Haute-Ville, Basse-Ville

eut largement le temps de prendre un petit-déjeuner avant de se présenter chez les Trudel. Il se demanda même s'il ne devrait pas aller à la messe, pour montrer sa respectabilité à toutes ces bonnes gens. Il se donna congé, mais il devrait renouer avec cette discipline à Québec. Plusieurs professeurs de l'Université Laval devaient être agnostiques ; aucun ne se risquait à l'afficher.
    Il était tout près de midi quand il sonna chez les Trudel. Il trouva le frère et la sœur, et bien sûr Helen McPhail, dans le salon. Les parents avaient quelques personnes à saluer avant de revenir de l'église. Minaudant, Helen demanda :
    —    Monsieur Daigle, il fait encore si beau, pourrions-nous passer à la plage ?
    —    Bien sûr, fit-il sans hésiter.
    —    Juste le temps de me tremper un peu. Nous pourrons partir de là pour regagner directement Québec. Voulez-vous vous baigner aussi ?
    Elle disait cela en posant un chapeau de paille sur ses boucles.
    —    Non... Je n'ai rien de ce qu'il faut avec moi.
    —    Je peux toujours vous prêter un maillot, intervint Henri Trudel.
    Le visiteur refusa d'un geste de la tête. Il n'avait pas tellement envie de se trouver à demi nu sur une plage, surtout pas avec un maillot qu'il ne pourrait remplir de façon bien avantageuse. Il perçut un air désolé sur le visage d'Elise. La jeune femme voulait sans doute dire quelque chose comme : «Il faut l'excuser, elle est bien jeune, vous savez.» Le trio n'attendait que lui pour se mettre en route. Bien élevé, il prit le sac de voyage d'Helen et le porta jusqu'à son auto, mais la jeune fille se dirigea plutôt vers la Buick en lançant à voix haute :
    —    Je monte avec Henri. Suivez-nous.
    C'était à peine poli. Elise crut utile de déclarer, à haute voix cette fois :
    —    Veuillez excuser notre invitée. Je crois qu'elle a le béguin pour mon frère.
    La précision se révélait inutile, il avait pu tirer cette conclusion déjà. Renaud lui ouvrit la portière, puis se mit au volant. Sa compagne le guida vers la rive du Saint-Laurent.
    Le terme plage était un peu généreux pour l'étroite bande de sable coincée entre la voie ferrée et le fleuve. Si la popularité de la baignade continuait de croître, les villégiateurs quitteraient la région pour des cieux plus cléments. Old Orchard, dans le Maine, multipliait déjà les annonces publicitaires dans les journaux de Québec. Charlevoix pouvait offrir aux visiteurs la beauté sauvage de ses paysages, cependant la canicule touchait ces parages quelques jours seulement dans l'année, et l'eau du fleuve demeurait désagréablement froide tout l'été. Ces considérations occupèrent Renaud et Elise pendant les quelques minutes du trajet pour se rendre sur la rive.
    A leur arrivée, Henri et Helen se dirigeaient déjà vers les cabines pour se changer. Comme Elise ne faisait pas mine de les suivre, Renaud dit bientôt:
    —    Vous ne vous privez pas de vous baigner pour me tenir compagnie, j'espère.
    —    Pas vraiment. Comme vous l'avez fait observer, l'eau est bien froide.
    Il y avait quelques bancs le long de la bande de sable : ils occupèrent l'un d'eux. Bientôt les deux jeunes gens revinrent, vêtus de leur maillot, une serviette sur les épaules. Les « costumes de bain » des hommes et des femmes se ressemblaient fort, et couvraient le corps de la mi-cuisse jusqu'aux épaules. Parfois, ils partaient d'aussi bas que les genoux. Ils cachaient la plus grande surface de peau possible pour, en principe, préserver la pudeur. Ce qu'ils ne faisaient pas vraiment puisque le tricot de coton épousait parfaitement le corps. Renaud pouvait détailler par exemple les «génitoires» - il aimait le mot, cela mettait en évidence le côté bovin du physique d'Henri - parfaitement dessinés par le tissu. Le maillot ne soulignait rien de bovin sur Helen. Son corps faisait vaguement adolescente: de petits seins bien hauts, l'arrondi du ventre à peine souligné, des fesses... coquines, se dit Renaud faute d'un meilleur terme. Il la vit gagner le bord de l'eau, s'y enfoncer avec Henri. Elise le regardait la regarder. Leur conversation s'était arrêtée.
    Depuis le départ de la maison, Helen parlait d'une voix animée à son compagnon. Ce dernier répondait en souriant, mais sans trop d'enthousiasme. Henri constatait l'effet produit sur elle. A son âge, faire le choix d'une épouse dans la bonne société devenait urgent. Toute