Haute-Ville, Basse-Ville
ville, cela ne serait pas endurable. Même à cette distance, c'est une nuisance. J'ai souvent eu envie d'aller l'avertir.
Visiblement, l'importance du personnage l'empêchait de réclamer plus de retenue.
— Us faisaient du bruit, ce soir-là ? Le 3 juillet, je veux dire.
— Christ oui ! Heureusement, ils se sont calmés très rapidement.
— Quel genre de bruit? De la musique?
— Des cris. Je suppose qu'ils viennent là pour se soûler. Des hurlements de gars chauds parviennent souvent jusqu'ici. Des fois il y a aussi de la musique. Dans ces cas-là, ils sont très nombreux. Mais c'est surtout quand il y a des cris et des batailles d'ivrognes que je n'aime pas ça.
Des yeux, l'homme contemplait ses enfants, toujours fascinés par la voiture.
— Ils se battaient ?
— D'ici on ne voit rien à cause des arbres. Mais cela ressemblait à du chamaillage de taverne.
— II... il y avait des femmes avec eux? demanda Gagnon.
Il eut l'impression qu'à l'intérieur, quelqu'un s'approchait
de la fenêtre pour mieux entendre.
— Des fois, fit le cultivateur en ricanant.
— Ce samedi-là ?
— Je ne pense pas.
Gagnon se leva. Il secoua la tête en descendant de la galerie, tout en observant:
— Une drôle de façon de s'amuser, quand même.
— S'ils avaient à travailler pour gagner leur vie, je suppose qu'ils seraient trop fatigués pour faire les fous comme cela.
Le lieutenant acquiesça à ces paroles fort sages, monta dans sa voiture et partit. Il reprit la route vers l'est, repassa devant la maison de Trudel très lentement. Il ne semblait y avoir personne. Enfin, aucune voiture ne se trouvait près de la maison. Comme le chemin obliquait un peu plus loin dans une courbe assez prononcée, le policier put s'arrêter sur la route, à quelques centaines de mètres, sans être vu par le cultivateur qu'il venait de quitter. Mieux valait garder son expédition secrète. S'il se trompait, personne ne devinerait sa venue.
Pendant un moment, le détective essaya de faire le point sur cette affaire.
Des commères avaient dit avoir vu Blanche dans une grosse voiture, en début de soirée le 3 juillet, une voiture de la Haute-Ville. Cela voulait dire que ce n'était pas une Ford T, ni même une petite Chevrolet. Tous savaient faire ces différences, comme ils pouvaient dire aux vêtements, à l'allure d'une personne, à son accent, si elle venait des beaux quartiers. Les personnes respectables ne dépensaient pas une fortune à soigner leur apparence pour être confondus avec les petites gens. Ils voulaient au contraire être reconnus pour ce qu'ils étaient. Gagnon pensait plutôt «pour ce qu'ils valaient».
Puis il y avait le livret de banque.
D'un côté, une femme affirmait avoir vu Blanche dans une voiture en compagnie de garçons de la Haute-Ville ; de l'autre, le propriétaire du livret de banque trouvé près du cadavre disait avoir fait une virée avec des amis. Gagnon avait écrit les noms de ces jeunes gens dans l'un de ses petits carnets. Il pourrait essayer de retrouver cette Gertrude, dont les commères avaient parlé. Ce serait difficile, certainement pas impossible. Il pourrait lui montrer des autos semblables à celles que tous ces jeunes gens possédaient. Le policier résolut de commencer par la Buick d'Henri Trudel. Ensuite, il lui montrerait les jeunes gens eux-mêmes. Mais auparavant, il voulait « sentir » cette maison.
Il se dirigea vers elle à pied. Après avoir fait la moitié du chemin par la route, il continua en décrivant un grand détour dans les champs. Des bosquets au pied de la falaise lui permettaient de se dissimuler. Il les longea et revint sur ses pas vers la maison. Si quelqu'un le voyait, il espérait passer pour un promeneur. Ce n'était pas impossible, la journée était belle, les champs sentaient le foin coupé, les criquets manifestaient leur présence.
Il atteignit le terrain d'un arpent sur lequel était construite la maison d'Henri Trudel. Elle était sise au milieu d'un bouquet d'arbres fruitiers. Le policier reconnut sous les branches des pommes, des prunes, des cerises, tous ces fruits encore verts. Des conifères avaient été ajoutés là pour faire écran. C'était une demeure discrète, confortable. Une retraite idéale. Une cachette peut-être ?
Personne ne s'y trouvait. Toutes les fenêtres étaient fermées. Il ne distinguait même pas de traces de pneu dans la cour.
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