Haute-Ville, Basse-Ville
Elles devaient avoir été lavées par la pluie abondante de samedi dernier. Il frappa tout de même à la porte à plusieurs reprises, puis dans une fenêtre. « Monsieur Trudel » cria-t-il trois ou quatre fois. Le lieutenant continua même quand il fut certain que personne ne répondrait. Un trac envahissant le paralysait. D'abord, sa démarche était illégale, tout ce qu'il apprendrait de cette manière n'aurait aucune valeur devant les tribunaux. Au contraire, il risquait d'être poursuivi pour une entrée par effraction. A la fin, le courage lui revint.
Les maisons de cultivateur n'étaient habituellement pas conçues pour repousser les voleurs. De toute façon, ces gens demeuraient habituellement si certains de l'honnêteté de leurs voisins qu'ils ne se donnaient pas toujours la peine de verrouiller derrière eux quand ils s'absentaient. Henri Trudel n'était pas si confiant : un gros cadenas fermait la porte.
En moins d'une minute, Gagnon enleva la moustiquaire d'une fenêtre et l'ouvrit. Il se glissa à l'intérieur et se retrouva dans une grande pièce de séjour. Elle sentait le renfermé et surtout le vomi. Deux ou trois taches brunâtres souillaient le tapis. Les meubles étaient ruinés. Quelques photos ornaient les murs, sans doute celles de la famille de cultivateurs, propriétaire de la maison avant que Trudel ne l'achète. Il lut près des portraits des grossièretés écrites au crayon gras. Par exemple, près de celui d'une jeune fille, quelqu'un avait dessiné un sexe masculin et écrit « Quand elle se fait mettre, elle meugle. » Le policier n'avait aucun mal à imaginer ces grands gars avinés en train de beugler des insanités, un soir de juillet.
La salle de séjour occupait la moitié du rez-de-chaussée. Il y avait aussi une cuisine, avec quelques armoires, un évier de tôle surmonté d'une pompe à «queue». C'était une addition récente. Un gros poêle à bois de fonte, une longue table faite de grosses planches et une dizaine de chaises complétaient l'ameublement. Dans un coin, il vit une glacière. Elle contenait quelques bouteilles de bière devenues tièdes. Dans une armoire, Gagnon trouva encore un assortiment de bouteilles d'alcool: whisky, gin, cognac, porto, etc. Trudel devait les acheter à la caisse. Impossible de le coincer pour trafic illégal d'alcool, elles venaient toutes de la Commission. Dans la dernière pièce du rez-de-chaussée, celle-là dans un ordre parfait, un bureau, trois fauteuils moelleux, des étagères remplies de livres et une radio procuraient tout le confort pour recevoir, ou travailler.
Le visiteur se dirigea vers l'escalier qui coupait la maison en deux, en quelque sorte. Sous les marches, une toilette se révéla plutôt repoussante : rien de plus difficile, quand on est ivre, de viser dans le cercle de vingt-cinq centimètres de diamètre de la cuvette, soit en pissant, soit en dégueulant. Ce sanitaire se situait à mi-chemin entre le confort moderne et la rusticité: il fallait pomper manuellement pour remplir le réservoir avant d'actionner la chasse d'eau.
A l'étage, l'escalier donnait sur un corridor. Deux portes s'ouvraient de chaque côté, et une autre au fond. Il les ouvrit l'une après l'autre. Elles donnaient accès à des chambres. Les deux premières étaient très sommairement meublées: de vieux lits, un matelas nu sur chacun, sans draps ni couvertures, des tables et des chaises branlantes. Les petits placards se révélèrent vides. La troisième chambre, quant à elle, était très confortable, avec un grand lit et un bon matelas. Les draps et les taies d'oreiller manquaient ici aussi, mais les couvertures avaient été pliées à peu près convenablement et posées sur une chaise. Quelques livres traînaient sur une table de chevet, avec un réveil depuis longtemps arrêté, faute de ne pas avoir été remonté. Gagnon ouvrit les tiroirs d'une grande commode un à un, fouillant rapidement. Expérimenté, le policier arrivait à tout tâter, palper, soulever en quelques minutes. Aucune découverte ne récompensa d'abord ses efforts. Il nota la présence de vêtements, de quelques photos de famille ou de voyage, de cigarettes, de cigares et deux ou trois pipes. Il découvrit même un revolver et des munitions. Un jeune homme riche et lié au pouvoir ne pouvait pas demeurer des jours en ces lieux dans la solitude sans pouvoir assurer un peu sa protection.
Dans le dernier tiroir, un objet compromettant récompensa la
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