Haute-Ville, Basse-Ville
J'ai déjà vingt-quatre ans, se justifia-t-elle, je veux une chambre bien à moi et la possibilité de m'intéresser à des choses comme la chorale, plutôt que d'être réquisitionnée pour m'occuper de mes frères et sœurs plus jeunes, et de mes parents quand ils seront vieux.
Quoiqu'elle n'allât pas jusque-là dans ses confidences, Renaud sentit que ces derniers devaient être enclins à la considérer comme l'aînée de service, et éventuellement leur « poteau de vieillesse ». Dans ces milieux aussi, on devait avoir un enfant pendu au sein peu après avoir eu vingt ans, ou assumer le rôle de la laissée-pour-compte.
Les histoires personnelles terminées, destinées à poser les appartenances sociales respectives, pas du tout à évoquer des questions intimes, la conversation languit un moment. Heureusement, ils devaient se diriger vers le cinéma. C'était d'ailleurs pour prévenir les longs silences embarrassés, inévitables entre deux personnes incapables d'évoquer des connaissances communes pour meubler la conversation, que Renaud avait choisi cette activité.
A la fin de la projection, quand ils descendirent le long escalier pour rejoindre le foyer du cinéma, Renaud chercha autour de lui si quelqu'un jetait un regard amusé sur leur couple improbable. L'homme se demandait quelle suite donner à cette soirée. Il pouvait bien la reconduire chez elle, la remercier de cette excellente soirée, et ne plus jamais lui donner de nouvelles. Son sens des convenances le portait à adopter cette attitude. Il descendit la côte d'Abraham, tourna à gauche sur le boulevard Saint-Joseph pour rejoindre sa maison de chambres.
— Je vous remercie pour cette charmante soirée, commença-t-il en stationnant.
En homme bien élevé, il descendit, vint lui ouvrir la portière. Elle ne disait rien, attendant la suite. Il la reconduisit jusqu'à la porte avant d'ajouter encore :
— Si vous me laissez votre numéro de téléphone, je pourrai vous appeler dans le courant de la semaine prochaine, pour que nous recommencions.
Voilà, c'était dit. Germaine lui donna le numéro de téléphone de la maison de chambres, on l'appellerait pour qu'elle puisse prendre la communication. Il lui serra la main, la tint assez longtemps pour marquer la différence avec celle destinée à son banquier. Puis ils se souhaitèrent bonne nuit. Ce cavalier pouvait encore décevoir ses espoirs et ne jamais téléphoner. Ce serait manquer de délicatesse, mais il jouissait seul du privilège de donner suite à son engagement, ou l'effacer de son esprit. Quant à elle, impossible de le relancer: cela ne se faisait tout simplement pas.
Chapitre 9
Le lieutenant Gagnon connut un dimanche détestable. Maintenant, la plupart de ses journées étaient insupportables. Il ne se donna pas la peine de s'habiller pour la messe. Sa femme y alla avec les deux enfants : elle n'osait plus les laisser seuls avec lui. Le lendemain, il se présenta tout de même à son bureau. Il prit bien garde d'arriver avant l'heure où le chef Ryan avait l'habitude de faire un tour de la maison. I ,c lieutenant se dépêcha de prendre une voiture de police et sc sauva, en quelque sorte.
Il se doutait bien que la prochaine rencontre avec son patron serait orageuse. Comment se dérober encore longtemps aux questions sur son état de santé? Avant cette explication, il voulait une complète liberté d'action, pendant un jour ou deux. Avec un sentiment croissant d'urgence, il entendait vérifier sa dernière hypothèse. Après, les autres disposeraient de lui. Sur la route, le lieutenant s'arrêta dans un petit restaurant afin d'utiliser le téléphone. Il appela le central de Château-Richer afin d'être mis en communication avec un certain Henri Trudel. La téléphoniste lui apprit bientôt qu'il n'y avait pas de réponse chez cet abonné. Il prit tout de même en note le numéro de son suspect, afin de pouvoir essayer de nouveau un peu plus tard.
Le policier reprit le volant pour se diriger vers le village situé à l'est de Québec. En traversant Beauport, il serra les dents et fit un effort pour ne pas regarder le gigantesque asile de pierre grise. Son père avait fini ses jours à cet endroit, complètement dément. L'homme savait, avec une certitude absolue, que son tour viendrait, un jour pas trop lointain.
À Château-Richer, un bref arrêt au bureau de poste lui permit non seulement d'apprendre où se trouvait la résidence de Trudel, mais aussi
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