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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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héritier.
     
    Poussés par le flux séveux, les bourgeons hérissaient les coursons et annonçaient le temps de l’ébourgeonnage. Ce rite délicat était l’affaire des femmes. Celles-ci se montraient, avec leurs doigts fins, plus habiles que les hommes pour éliminer les pousses chétives et les rejets après avoir évalué, d’un seul coup d’œil, combien un cep pourrait porter de grappes.
     
    Au long des talus, le narcisse des poètes jetait ses étoiles blanches et odoriférantes, la saxifrage dressait ses tiges rougeâtres et ses épis crémeux, la primevère laissait retomber avec mollesse ses fleurs jaunes et la robuste centaurée dardait ses fleurons mauves, ébouriffés par la brise. Dans les anfractuosités rocheuses, la gentiane coriace ouvrait ses corolles au soleil.
     
    Près des berges du lac, les canards et les foulques, qui, avec d’autres espèces, hivernaient sur le Léman, se préparaient à l’envol vers les sites de nidification dans le nord et l’est de l’Europe. Les grèbes huppés trompetaient leur satisfaction de voir partir les encombrants migrateurs avant de construire leurs nids flottants.
     
    Pendant le trajet, Charlotte, tout en conversant avec sa tante, pensait qu’un an déjà s’était écoulé depuis que, par cette même route, alors plus encombrée de convois militaires, Blaise de Fontsalte avait fait irruption dans sa tranquille existence. Elle emportait dans une bourse de tapisserie les lettres de l’officier, tirées pour un temps de la cachette où Flora les serrait. Une douce mélancolie l’avait saisie à la vue de sa maison de Belle-Ombre, juchée au milieu des vignes. Elle y avait vécu son roman secret et ne s’était pas encore résolue à y revenir. Une intime lâcheté, devant l’émotion que susciteraient de brûlantes réminiscences, retenait Charlotte.
     
    La perspective des plaisirs plus avouables qui l’attendaient à Lausanne estompa bientôt les souvenirs d’un été triomphant et… peccamineux. Ce rappel du passé conduisit Charlotte Métaz à penser à son enfant. Tout à la joie de l’escapade lausannoise et au bien-être physique que lui procurait l’aisance retrouvée de ses mouvements, elle avait oublié un moment l’existence d’Axel. Cette constatation la fit sourire et se demander quand et comment se manifesterait chez elle la fameuse fibre maternelle, dont Élise Ruty proclamait la force et dénonçait les exigences. En attendant, le tempérament primesautier et insouciant, que M me  Rudmeyer qualifiait chez sa fille unique d’« aptitude exceptionnelle au bonheur », l’emporta sur tout le reste. Charlotte ressentait en effet le même bien-être indéfinissable, chaque fois qu’elle se retrouvait à Lausanne, dans la belle demeure de sa tante.
     

    M lle  Rudmeyer occupait, rue de Bourg, une maison patricienne construite au xviii e  siècle, proche de l’hôtel du Lion d’Or où descendaient toutes les célébrités de passage. M me  Métaz se plaisait particulièrement dans le grand salon – murs crème, plafond à caissons, parquet à compartiments copié sur ceux de Versailles – que chauffait une cheminée de marbre noir autour de laquelle fauteuils, bergères et guéridons formaient un cercle idéal pour la conversation. Les chandelles du grand lustre à pendeloques de cristal n’étaient allumées que les jours de réception, mais Charlotte, comme sa tante, préférait à cet éclairage celui, plus intime, des lampes à huile Argand 2 dont les manchons de verre et les écrans de soie rose diffusaient une lumière douce, très flatteuse pour les carnations féminines.
     
    La Veveysanne appréciait surtout de vivre un temps dans une vraie ville qui comptait, d’après un recensement récent, douze mille six cent vingt-neuf habitants, de nombreuses boutiques, des artisans habiles, des peintres, des orfèvres, des libraires-éditeurs et où l’on croisait de plus en plus de touristes étrangers, les excursions autour du lac et en montagne devenant à la mode. Seules les menaces que faisaient courir à la paix civile les menées des fédéralistes, qui réclamaient une plus grande autonomie des cantons, et les réactions vigoureuses des conservateurs, qui exigeaient le respect des droits féodaux, décourageaient parfois les visiteurs de séjourner à Lausanne, chef-lieu du canton du Léman.
     
    Si, de la terrasse de la cathédrale Notre-Dame, devenue temple protestant où elle n’entrait jamais,

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