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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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semblait pas avoir coupé l’appétit, demanda une nouvelle tasse de thé et entreprit, en faisant fondre le sucre, d’évoquer un amour de Gibbon.
     
    – Étant plus âgée que vous toutes, je me souviens qu’Edward avait ébauché, vers 1757 ou 1758, lors d’un premier séjour à Lausanne, une idylle avec Suzanne Curchod, la fille du pasteur de Crassier. Mais les choses n’avaient pas abouti et Suzanne, qui est morte il y a sept ans déjà, lui préféra M. Jacques Necker, celui qui fut ministre des Finances de Louis XVI et vit maintenant à Coppet, où vient d’arriver sa fille, M me  de Staël, m’a-t-on dit hier.
     
    La conversation étant, ce jour-là, lancée sur l’auteur de l’histoire de l’Empire romain, une autre invitée rappela en pouffant de rire le jour où Gibbon, s’étant mis à genoux pour faire une déclaration enflammée à une amie de la duchesse, avait été incapable, son compliment débité, de se relever. Il avait fallu l’intervention de deux valets pour remettre l’aimable obèse sur pied.
     
    Mathilde, interrogée par Charlotte, refusa de nommer la destinataire de cette déclaration gâchée, ce qui imposa silence à celles qui eussent volontiers livré un nom.
     
    – Ce jour-là, le pauvre homme m’a fait pitié. Son intelligence, sa probité et ses prodigieux dons d’écrivain devraient faire oublier cet épisode ridicule. Il était laid, c’est un fait, il le savait et, je crois, en souffrait un peu. Il avait su remplacer l’amour par l’amitié mais parfois, comme tout être humain sensible, il se prenait à désirer la tendresse d’une femme, conclut Mathilde.
     
    Quant au docteur Samuel-Auguste Tissot, mort quatre ans plus tôt après avoir eu l’immense chagrin de perdre le neveu qu’il aimait passionnément, il avait soigné toutes les dames de la bonne société lausannoise et bon nombre d’étrangers célèbres.
     
    Les amies de Mathilde, qui avaient eu recours à ses soins, évoquaient souvent la mémoire, les écrits et les boutades du praticien. Lettré et mondain, Tissot se flattait d’avoir veillé sur la santé de Jean-Jacques Rousseau, dont il exhibait volontiers les lettres pleines de gratitude. Toute la coterie Rudmeyer les avait lues.
     
    L’auteur du Contrat social , qui disait souffrir d’une « enflure d’estomac » et d’oppression, s’était, semble-t-il, aussi bien trouvé des remèdes prescrits que des conseils donnés. Il en avait remercié le médecin en janvier 1769 : « Ma situation, grâce à vous, est réellement aujourd’hui bien plus douce, et les coups portés par la nature n’étant point dirigés par la haine, ne me feront jamais murmurer. Je me suis à peu de chose près conformé à tout ce que vous m’avez prescrit. J’ai quitté Bourgoin pour venir occuper un logement qu’on m’a offert sur la hauteur, où l’air et l’eau sont très bons. J’y vis et j’y souffre à mon aise, dans une parfaite solitude. »
     
    – Tous ses patients reconnaissaient à Auguste Tissot un diagnostic sûr et une grande gentillesse. Et aussi un souci rare du moral des malades, dit une invitée âgée, que le bon docteur avait guérie d’une pleurésie.
     
    Mathilde Rudmeyer intervint :
     
    – Cela tenait à son éducation. Auguste, élevé par un oncle, un pasteur très rigoriste, avait été envoyé à Genève, puis à Montpellier, pour étudier la médecine. Ayant lui-même souffert de la petite vérole, il s’était fait, dans le pays de Vaud, l’actif propagandiste de l’inoculation, seule méthode capable, d’après lui, de combattre cette horrible maladie, qui défigure chaque année bon nombre de femmes.
     
    – Il n’était pas le premier à prôner l’inoculation. Dès 1734, Voltaire avait révélé les bienfaits de l’inoculation que pratiquaient les Tcherkesses du Caucase, pour protéger la beauté des esclaves dont ils faisaient commerce 7 . Il est vrai que Tissot, comme Albrecht von Haller, à Berne, a pratiqué avec succès l’inoculation que les protestants ont toujours acceptée plus volontiers que les catholiques. D’ailleurs, le premier livre de Tissot, publié en 1754, avait pour titre Inoculation justifiée , précisa l’épouse d’un apothicaire.
     
    – Le docteur Tissot s’intéressait, je crois, au moins autant à la littérature et aux littérateurs qu’à la médecine, et son ouvrage De la santé des gens de lettres , publié en 1768, déchaîne toujours les

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