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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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qu’on ne voyait guère que l’été à Coppet, ne rendait pas de visites, M me  de Montolieu, qui habitait rue de Bourg 4 , venait en voisine. Écrivain prolixe, Isabelle de Montolieu, née Jeanne-Élisabeth-Pauline Polier, baronne de Bottonens, avait connu le succès littéraire quinze ans plus tôt avec un roman publié à Lausanne, Caroline de Liechfield . Elle venait, en ce printemps 1801, de terminer Tableau de famille et Nouveau Tableau de famille , traductions de deux ouvrages d’Auguste Lafontaine, auteur allemand. Les mauvaises langues insinuaient que les écrits de la baronne devaient leurs effets de style à des littérateurs dévoués. Les amies de M me  de Montolieu voulaient ignorer ces médisances, sans doute inspirées par la jalousie de quelques écrivassières sans lecteurs que M lle  Rudmeyer ne recevait pas. Les habituées du salon de Mathilde savaient trouver chez la quadragénaire, célibataire entêtée, non seulement la société la plus distinguée et la moins conformiste, mais aussi le meilleur porto et les croûtes au fromage les plus moelleuses.
     
    Mathilde Rudmeyer ne manquait jamais de rappeler que Voltaire, avant d’aller s’enfermer à Ferney, avait passé trois hivers, de 1756 à 1758, à Lausanne et qu’en 1766 Mozart y avait donné un concert à l’hôtel de ville, auquel elle avait assisté, avec soixante-dix privilégiés capables de payer quarante sols une chaise. Bien que du même âge que Mozart – elle avait alors dix ans comme le prodige autrichien, et jouait passablement du piano – la tante de Charlotte se souvenait parfaitement des pièces interprétées par l’artiste. Elle conservait, comme une relique, le compte rendu publié la semaine suivante dans Aristide ou le Citoyen , organe de la Société morale, qui avait cessé de paraître en 1767.
     
    M me  Métaz aimait entendre Mathilde et ses amies conter des anecdotes sur les gens en vue au cours de ce qu’elles nommaient « les plus belles années lausannoises ». À l’heure du goûter, qu’on prenait avec du thé et des cakes à la mode anglaise, Charlotte provoquait les confidences des invitées de sa tante. Quelques jours après son arrivée, une réunion lui fournit l’occasion d’apprécier ce que devait être la vie lausannoise avant la République.
     
    – En ce temps-là, dit Mathilde, la duchesse de Devonshire, arrivée en 1792 avec une suite de jolies femmes, dont ses sœurs et ses amies lady Elizabeth Foster et lady Harriet Duncannon, avait été, pendant toute une saison, la véritable attraction mondaine et intellectuelle du pays, qu’elle prît les eaux à Yverdon ou séjournât à Ouchy. L’historien anglais Edward Gibbon et son ami, le célèbre docteur Auguste Tissot, fréquentaient assidûment le salon de la duchesse. Les deux hommes, Gibbon poussif et Tissot pontifiant, faisaient assaut d’amabilités et de grâces lourdaudes pour plaire aux dames. Un jour que tous deux courtisaient lady Foster, superbe femme de trente-quatre ans, Tissot, qui en comptait trente de plus, avait interrompu Gibbon en disant : « Lorsque vos fadaises auront rendu lady Foster gravement malade, je l’en guérirai ! » Ce à quoi l’écrivain, de dix ans le cadet de son ami et rival, avait rétorqué sur le même ton : « Et quand Milady sera morte de vos ordonnances, cher docteur, je la rendrai immortelle 5  ! »
     
    – Comme c’était drôle de les voir jouer les jolis cœurs devant ces Anglaises ! rappela une dame. Quand Gibbon faisait les honneurs du jardin de La Grotte, maison où l’hébergeait son ami Georges Deyverdun, il se coiffait d’une casquette de jockey à visière verte, ce qui amusait beaucoup la petite Caroline, fille de lady Duncannon-Ponsoby, comtesse de Bessborough 6 , une enfant de sept ans véritablement insupportable, qui osait appeler la princesse Joseph de Monaco « veuve Joseph », alors que le prince vivait encore !
     
    Mathilde et ses amies, commères mondaines, ne manquaient ni d’esprit ni d’expérience. Elles taisaient cependant leurs propres incartades avec des lords désœuvrés, pour ne parler que de soupirants éconduits. Elles racontaient comment la duchesse de Devonshire avait fondé, pour distraire sa petite cour et marquer ses préférences, un ordre de chevalerie. Toutes donnaient maints détails sur l’adoubement cocasse des chevaliers, dont M. Gibbon avait inauguré la liste.
     
    Une dame en deuil, à qui le veuvage ne

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