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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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mouvement d’humeur surprit les auditrices, mais seule Mathilde remarqua l’émotion qui empourprait le visage de la jeune femme. Elle se demanda si Charlotte se sentait visée.
     
    – Le fait est que Belle n’a jamais été tendre, surtout depuis que Germaine de Staël lui a enlevé M. Benjamin Constant, reconnut une invitée.
     
    Mathilde, qui paraissait connaître mieux que quiconque le passé de M me  de Charrière, prit aussitôt sa défense :
     
    – Il faut dire que Belle n’a jamais eu de chance avec les Constant. Elle avait été très amoureuse, à l’âge de vingt ans, de l’oncle de Benjamin, David-Louis, le baron d’Hermenches, qui servait en Hollande comme colonel d’un régiment suisse. On sait, car c’est un secret de polichinelle, qu’elle écrivit pendant dix ans des lettres enflammées 11 à cet homme, de dix-huit ans son aîné et marié à Louise de Seigneux, que nous avons toutes connue. Il passait, en Suisse comme en Hollande, pour un insatiable coureur de jupons. Belle, aujourd’hui bien assagie – songez qu’elle aura soixante et un ans en octobre – m’a assuré que le baron ne tenta jamais de l’entraîner au faux pas qu’elle eût été bien capable de faire en compagnie d’un bel homme spirituel, qui semblait lui vouer un véritable culte et s’y entendait mieux que personne aux choses de l’amour ! Quand le beau militaire lui proposa d’épouser un de ses amis, peut-être destiné à jouer le chandelier, Belle découvrit la nature égoïste et la sécheresse de cœur de son amoureux. Elle en fut très chagrinée et le brave M. de Charrière, précepteur de son frère, s’étant déclaré, elle l’épousa. Quand, en 1771, des bruits coururent à Lausanne à propos des amours épistolaires de M me  de Charrière et du baron d’Hermenches – il citait, paraît-il, dans les salons, comme pièces littéraires des phrases de Belle – notre amie fit connaître, avec plus d’aplomb que de sincérité, qu’il s’agissait de « chimères absurdes » et réclama instamment la restitution de ses lettres. M. d’Hermenches envisageait alors de divorcer. Il refusa de rendre les lettres, espérant encore Dieu sait quoi ! M me  de Charrière, voulant oublier ce que M lle  de Zuylen avait écrit, n’insista pas. Elle reprit même, plus tard, une correspondance purement amicale, cette fois, avec le baron. Jusqu’à ce que, mes amies, ce don Juan, alors âgé de cinquante-quatre ans, épousât en 1776 une veuve, jeune, riche et jolie, M me  de Préseau, qui mourut trois ans plus tard.
     
    – On a les amoureux et les maris qu’on mérite, souffla la veuve récente.
     
    Mathilde Rudmeyer ne releva pas l’interruption.
     
    – Voilà toute l’histoire de Belle de Zuylen, jeune personne hardie, au tempérament fougueux, formée par la lecture des Encyclopédistes et très admirée pour son esprit et sa beauté. Savez-vous qu’elle avait été courtisée en Hollande par James Boswell, l’ami et biographe du célèbre lexicographe Samuel Johnson ? L’Écossais, d’abord séduit par les décolletés audacieux de Belle, dotée il est vrai de seins luxuriants, fut bientôt rebuté, comme d’autres soupirants avant lui, par la liberté de langage, l’indépendance de conduite et la causticité d’une demoiselle qui ne respectait ni l’aristocratie ni l’étiquette, ni même la religion !
     

    Cet après-midi-là, quand les invitées eurent pris congé, Mathilde alluma les lampes et considéra un moment, en silence, sa jeune nièce, dont l’esprit semblait occupé par des soucis étrangers à l’instant.
     
    – J’aimerais savoir, ma chère enfant, ce qui t’a si fortement émue dans le texte de M me  de Charrière que je t’ai donné à lire. Au contraire de la narratrice du roman, car c’est un roman, je ne doute pas, moi, de la parfaite sincérité de tes propos ni de ta droiture en toute circonstance. Ai-je tort ?
     
    – Non…, pas vraiment…, mais voyez-vous, ma tante, cette page que j’ai lue est de nature à faire douter de tout, de ceux qu’on aime, des autres et de soi-même. Et c’est cela qui m’a émue…, rien de plus, je vous assure.
     
    La conversation se serait peut-être poursuivie sur le même thème jusqu’au souper si la servante n’était entrée, un journal à la main.
     
    – En voilà, une nouvelle, madame : Bonaparte se mêle de nous donner une Constitution. Comme si les Français ne nous

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