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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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moqueries des gens de plume. Mon ami Martin Chantenoz brocarde autant le médecin que l’écrivain, révéla Charlotte.
     
    Si l’on admettait les théories et déductions de Tissot, mieux valait, pour qui voulait avoir une chance de vivre vieux en conservant une bonne digestion et des réflexes normaux, cesser de lire, d’écrire et, peut-être même, de penser !
     
    Le praticien annonçait en préambule : « Les maladies des gens de lettres ont deux sources principales, les travaux assidus de l’esprit et le continuel repos du corps. » Si une telle discordance entre le mental et le physique restait plausible, comme les malaises provoqués, il était en revanche difficile de croire à l’effroyable gravité des maux répertoriés par Tissot. Selon le médecin, la poésie épique conduisait à l’épilepsie, les romans mettaient les humeurs acides en mouvement, les contes frivoles donnaient des étourdissements, la théologie dérangeait le système nerveux et la méditation rendait insomniaques ceux qui avaient l’imprudence de s’y livrer !
     
    Toutefois, ces affections paraissaient bénignes en comparaison des tortures mortelles que devaient éprouver les adeptes de la masturbation, vice solitaire et honteux auquel le docteur Tissot avait consacré, en 1758, un ouvrage en latin à la fois édifiant et effrayant, Tentamen de morbis ex manustupratione , traduit en français sous un titre plus simple et plus clair, l’Onanisme . Cet essai, véhément et sans concession, auquel Charlotte n’osa pas, ce jour-là, faire allusion, connaissait depuis sa publication un succès permanent, chez les papistes comme chez les huguenots. Les pasteurs et les rares prêtres catholiques 8 le possédaient et en recommandaient la lecture aux pères de famille et aux éducateurs. Ceux-ci devaient surveiller de près leurs enfants et leurs élèves, garçons ou filles, s’ils ne voulaient pas les voir devenir aveugles, imbéciles, convulsionnaires, incontinents, paralytiques, édentés, muets, sourds, chancreux, puis sombrer dans la consomption dorsale, prélude au coma, enfin périr par de répugnantes infections ou trépasser après d’inqualifiables souffrances !
     
    Les jeunes gens qui copulaient sans retenue avec des femmes risquaient à peu près les mêmes ennuis, encore que le bon médecin reconnût que l’abstinence intégrale pût causer des troubles humiliants… aux veuves et aux religieuses notamment ! Toutefois, Auguste Tissot admettait avec le Français Nicolas Venette, auteur d’un édifiant Tableau de la vie conjugale , que « l’union avec une belle femme épuise moins qu’avec une laide ». Santorio, dit Sanctorius, célèbre médecin italien du xvi e  siècle, connu pour ses travaux sur la transpiration, l’avait déjà constaté : « Après un coït excessif avec une femme qu’on aimait et qu’on désirait, l’on n’éprouve pas la lassitude qui devrait être la suite de cet excès parce que la joie que l’âme ressent augmente la force du cœur, favorise les fonctions et répare ce qu’on a perdu. »
     
    Martin Chantenoz qualifiait le traité sur l’onanisme de l’illustre praticien lausannois de « livre satanique, propre à terroriser la jeunesse et à conduire la race humaine à l’extinction ».
     
    Dans son ensemble, la Faculté respectait la mémoire d’Auguste Tissot, son talent de plume et tirait quelque fierté de la notoriété internationale que l’Esculape vaudois s’était acquise par ses écrits. Son Avis au peuple sur sa santé , publié en 1761, avait déjà été traduit en treize langues ! Tout en regardant Tissot comme un modèle de probité et de dévouement, les médecins de la nouvelle génération se gardaient d’être aussi péremptoires que le défunt.
     
    Les amies de M lle  Rudmeyer, très soucieuses de leur santé, comparaient volontiers les mérites des médecins en vue auxquels elles confiaient leurs précieuses personnes.
     
    Le successeur agréé d’Auguste Tissot, son élève, le docteur François Verdeil, devenu l’ami d’un villégiateur anglais richissime et original, William Beckford, qu’il avait accompagné en Espagne et au Portugal et qui lui servait, depuis son retour à Lausanne, une confortable pension, ne partageait pas toutes les craintes de son illustre maître. S’il pratiquait, lui aussi, avec conscience et raison, l’inoculation de la petite vérole, il ne citait point, à tout propos, des cas tragiques

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