Helvétie
qu’il ne concevait pas d’autre régime pour la Suisse que celui d’une confédération d’États. Le texte de Malmaison, envoyé le 15 mai au Conseil législatif helvétique, serait porté à la connaissance du peuple dès l’adoption ou le rejet du projet du Premier consul de la République française. D’après le journal, la Constitution nouvelle reconnaissait le principe unitaire, confiait au pouvoir central la haute police, les relations extérieures, le droit civil, le droit pénal, la défense du pays, le commerce du sel, la poste, les douanes, l’instruction publique supérieure, mais laissait à dix-sept cantons le libre choix de leur organisation interne.
– Je ne comprends pas grand-chose à ces changements, sinon qu’ils risquent de provoquer, une fois de plus, des affrontements entre gens des villes et gens des campagnes, commenta M lle Rudmeyer.
Charlotte, elle, ne vit que les palabres que cela allait engendrer.
– Tiens, je n’ai pas fini d’en entendre parler, de cette Constitution ! Guillaume va encore s’inquiéter pour ses affaires, Blanchod rappeler ses principes d’un autre âge, Martin se lancer dans des tirades filandreuses ; l’ire anti-française de Flora va trouver là de nouvelles justifications et Charles Ruty, qui applaudit à tout ce que fait Bonaparte, va nous rebattre les oreilles avec le génie européen, ça me promet de belles soirées… politiques !
Mathilde Rudmeyer, plus attentive que sa nièce à l’évolution de la société, résuma la situation :
– Il faut dire que, si la République helvétique avait bien fonctionné, avec les cantons transformés en départements à la française, nous aurions pu vivre tranquilles et pour longtemps. Mais voilà, avec les fédéralistes, les conservateurs, les anciens Bernois, les anciens révolutionnaires, les citadins, les montagnards, ceux qui trouvent qu’il y a trop de liberté et ceux qui crient qu’il n’y en a pas assez, nous en sommes, en quatre ans, à six coups d’État et six Constitutions ! Espérons que la septième sera la bonne…, c’est un bon chiffre !
Quand, quelques jours plus tard, M me Métaz prit, dans son coupé gris, laqué comme une bonbonnière chinoise, la route de Vevey, Mathilde, qui n’avait pas grande affection pour son neveu par alliance, reconnut que Guillaume avait bien fait les choses.
– Maintenant que tu as une voiture, tu pourras venir me voir plus souvent, sans que ton mari y trouve à redire et sans être chaperonnée. Si tu viens le mois prochain, comme je l’espère, je te conduirai à Coppet, chez Germaine de Staël. Là, tu verras, rassemblés par une grande dame instruite, au charme envoûtant, des gens d’esprit pour qui n’existent pas de frontières. À Coppet, tu entendras parler de littérature, d’art, de musique et même de politique dans toutes les langues… mais avec l’accent européen !
1 Leur fille Éléonore épousa le général d’Orsay et mit au monde, le 4 septembre 1801, le futur comte d’Orsay, dandy célèbre et ami de Napoléon III.
2 Du nom du Suisse Aimé Argand, né à Genève en 1755, mort à Londres en 1803. Il fut le véritable inventeur, en 1784, des lampes à double courant d’air, avec réservoir d’huile placé à un niveau supérieur à celui de la mèche. Le pharmacien français Antoine Quinquet perfectionna légèrement la lampe suisse, en l’affublant d’un manchon de cristal de la manufacture de Sèvres. C’est cependant son seul nom que retint la postérité pour désigner la lampe à quinquet.
3 Le Cercle de Saint-Jean ; la Triple-Union ; la Parfaite-Amitié.
4 Isabelle de Montolieu (1751-1832) habitait la maison qui porte aujourd’hui le numéro 6 de la rue de Bourg.
5 Cité par G.R. de Beer dans Anglais au pays de Vaud, Revue historique vaudoise , 1951.
6 Caroline, née en 1785, épousa, en 1805, William Lamb, futur lord Melbourne et Premier ministre. Lady Caroline Lamb-Melbourne eut une liaison orageuse avec Byron. Devenue femme de lettres, elle publia, en 1816, un roman, Glenarvon , dans lequel elle « déversa sur le poète tout le fiel de son dépit » (Larousse).
7 Lettres philosophiques ou Lettres anglaises , écrites par Voltaire, entre 1726 et 1729, pendant son exil en Angleterre. Elles furent publiées à Londres, en 1733, et en France, en 1734. Elles furent alors saisies et brûlées, sur ordre du Parlement,
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