Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
Vom Netzwerk:
méchanceté que répandre ce genre de bruit, lancé par les membres d’une gentry hypocrite qui détestent M. Beckford. Je puis vous dire, moi, que, le 24 juillet 1786, vingt-huit bourgeois de Vevey indignés, dont mon défunt frère, le père de Charlotte, rédigèrent et signèrent un mémorial en faveur de M. Beckford, dès que la calomnie que vous venez d’évoquer fut connue chez nous 10 . Les Veveysans, qui voyaient vivre les Beckford depuis plus d’un an, assurèrent que les procédés de M. Beckford envers lady Margaret « avaient été constamment ceux d’un époux rempli des attentions les plus délicates et les plus soutenues » et que la conduite de l’occupant du château de La Tour-de-Peilz avait toujours été celle d’un homme d’honneur aux mœurs honnêtes. La vérité, que je ne suis pas seule à pouvoir attester, est que M me  Beckford a été emportée, deux semaines après ses couches, par une fièvre puerpérale que le docteur Scholl n’a pas pu conjurer. Il en était aussi malheureux que M. Beckford, croyez-moi !
     
    – L’enfant a heureusement survécu, je crois, dit timidement celle qui avait déclenché l’intervention de Mathilde.
     
    – Elle a été emmenée en Angleterre, en même temps que le cercueil de sa mère. Elle a été baptisée au temple de La Tour. Son père l’a nommée Susan Euphemia. Elle doit avoir aujourd’hui quinze ans.
     
    Charlotte avait écouté ces échanges sans rien dire. Avec un agacement contenu, elle s’avança au bord de son siège.
     
    – C’est curieux, tout de même, qu’un homme riche, comblé de dons par la nature et d’honneurs par ses pairs, puisse se conduire d’une façon aussi abjecte avec un adolescent, fils d’un de ses amis. Comment peut-on aimer caresser les garçons et, dans le même temps, faire un enfant à son épouse ? Ce M. Beckford, aussi grand seigneur qu’il soit, est un monstre.
     
    Le ton de cette condamnation sans appel fit sourire l’assemblée. Mathilde Rudmeyer prit, dans un geste de commisération, la main de sa nièce.
     
    – Vois-tu, ma chérie, tu es encore jeune et, bien que mariée et maintenant mère de famille, encore trop innocente. La vie t’enseignera que la vraie vertu, la vertu soutenue, est rare, alors que le vice – devrais-je dire les vices ? – est très répandu. Des forces ténébreuses et bestiales inspirent parfois aux êtres les plus doués des actes pervers, contre nature. Il faut savoir que cela peut exister et ne pas être dupe des apparences. Mon amie M me  de Charrière a très bien exprimé ce doute qu’il faut, dans le monde, avoir toujours présent à l’esprit. Tiens, tire de la bibliothèque les Lettres écrites de Lausanne par notre chère Isabelle Van Zuylen et apporte-moi ce livre.
     
    Charlotte s’exécuta et revint avec un petit volume, joliment relié de cuir bleu et marqué au chiffre de sa tante. Mathilde trouva aisément la page qu’elle cherchait.
     
    – Lis-nous ces deux paragraphes, ma chérie. Ils sont extraits d’une lettre que la narratrice est censée adresser à une jeune femme qui va entrer dans le monde.
     
    M me  Métaz reprit place dans la bergère et, d’une voix posée, en s’appliquant à suivre la ponctuation, obéit à l’injonction de sa parente.
     
    – « À l’occasion de ce mariage, on parlera de vous, et l’on sentira ce qu’il y aurait à gagner pour la princesse qui attacherait à son service une femme de votre mérite, sage sans pruderie, également sincère et polie, modeste quoique remplie de talents. Mais voyons si cela est bien vrai. J’ai toujours trouvé que cette sorte de mérite n’existe que sur le papier, où les mots ne se battent jamais, quelque contradiction qu’il y ait entre eux. Sage et point prude ! Il est sûr que vous n’êtes point prude : je vous ai toujours vue fort sage ; mais vous ai-je toujours vue ? M’avez-vous fait l’histoire de tous les instants de votre vie ? Une femme parfaitement sage serait prude ; je le crois du moins. Mais passons là-dessus. Sincère et polie ! Vous n’êtes pas aussi sincère qu’il serait possible de l’être parce que vous êtes polie ; ni parfaitement polie parce que vous êtes sincère ; et vous n’êtes l’un et l’autre à la fois que parce que vous êtes médiocrement l’un et l’autre. »
     
    » M me  de Charrière est une méchante femme ! commenta Charlotte en refermant brusquement le livre.
     
    Ce

Weitere Kostenlose Bücher