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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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mesure ! Bonaparte ne manquera pas à la tradition ! ironisa Martin.
     
    Bien que la conversation eût dérivé, Charlotte sentit que le refroidissement de ses relations avec Flora commençait à intriguer son mari et ses amis. Elle décida que la brouille avait assez duré et que le temps de la réconciliation était venu. Elle choisit pour renouer avec Flora le jour où, à La Tour-de-Peilz, se réunissaient les dames d’œuvres pour préparer la distribution du pain des veuves, coutume instituée depuis 1614 et maintenue depuis près de deux siècles. La distribution se faisait toujours en mars, le jour de l’Annonciation, mais on commençait plusieurs mois à l’avance le recensement des futures bénéficiaires, les veuves de l’année remplaçant les veuves disparues depuis la distribution précédente. Chaque femme privée de mari recevait une michette d’une livre de pain blanc, cuit par les boulangers de La Tour-de-Peilz. Les dames d’œuvres y ajoutaient le plus souvent quelques friandises, qu’elles offraient au moment de leur visite aux veuves. M me  Métaz, propriétaire par héritage de terres sur la commune de La Tour-de-Peilz, se devait, en tant que bourgeoise veveysanne, de participer à une entreprise charitable à laquelle les sœurs Baldini se dévouaient depuis toujours.
     
    À l’issue du comité, Charlotte prit Flora par le bras et l’attira à l’écart.
     
    – Sais-tu que je souffre beaucoup de ne plus te voir comme autrefois, Flora ? Je veux te dire que mon amitié pour toi est intacte. J’ai oublié ce que tu as fait, en croyant bien agir, pour me séparer de Blaise. Si tu veux bien oublier, comme moi…
     
    Flora se jeta au cou de son amie, en sanglotant. Charlotte l’étreignit tendrement, lui caressa les cheveux et réussit à l’apaiser. Quand elle put enfin s’exprimer, Flora avoua qu’elle avait à demi perdu le sommeil, depuis le jour de la rupture.
     
    – J’ai souffert plus que toi de notre éloignement, car moi, je n’ai personne à qui me confier, ni famille ni amis. Ta maison est la seule où je me sente heureuse, au milieu des tiens…
     
    – Martin t’aime bien, tu sais, et Blanchod aussi. Il n’y a pas longtemps, on demandait de tes nouvelles. Alors, il te faut revenir à Rive-Reine. Et je ne t’ennuierai plus avec mon courrier caché, j’ai trouvé un autre moyen pour correspondre avec Blaise.
     
    – Ah ! tu as trouvé un autre moyen, murmura Flora, un peu déçue.
     
    – Oui. Comme ça, tu n’auras plus à raconter de mensonges à ta sœur.
     
    – De ton nouveau moyen, es-tu bien sûre ? Ne crains-tu pas une indiscrétion ? Je tremble pour toi, Carlotta, et, tu sais, je suis prête à reprendre mon service de poste, si tu veux.
     
    – Nous verrons. Si cela est nécessaire, tu sais bien que c’est à toi que je ferai appel.
     
    De ce jour, les visites de Flora Baldini à Rive-Reine reprirent et, en octobre, lors du souper des vendanges, les deux amies participèrent avec entrain à la grande ronde du picoulet emmenée par le pasteur et chantèrent comme tous les invités de Guillaume :
     
    Et voici comme l’on danse notre charmant picoulet ,
    Et du doigt, du doigt, du doigt ,
    Et des deux doigts ,
    Et de la main…
     
    L’énumération de toutes les parties du corps se terminant par le cœur, Charlotte fit mine de lancer le sien vers Flora.
     
    Chantenoz ne dansait pas, buvant et fumant sa pipe, tout en suivant les évolutions des danseurs. Le vin rendant audacieux et lyrique, il se pencha vers M lle  Rudmeyer, venue pour la première fois assister à la fête.
     
    – Voyez, voyez ces belles femmes : une blonde aux yeux bleus, lumineuse, inaccessible comme le soleil, une brune ténébreuse, jolie sorcière à l’œil incandescent…
     
    – Mais peut-être pas inaccessible, coupa malicieusement Mathilde.
     
    Elle connaissait depuis longtemps les sentiments de Martin pour Charlotte mais savait aussi, par cette dernière, que Flora se défendait mal d’un penchant inavoué pour le poète.
     
    – Ah ! Je vous vois venir, tante marieuse !
     
    – Pas du tout, mon petit Martin, mais ce qui est fait est fait et un homme de votre savoir et de votre sensibilité ne doit pas se cramponner à… de vieilles lunes.
     
    – Les vieilles lunes, on les brise pour en faire des étoiles, dit le proverbe. Mademoiselle, j’ai une constellation dans le cœur et vous connaissez son nom !
     
    Mathilde Rudmeyer posa

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