Helvétie
une main affectueuse sur l’avant-bras de Martin Chantenoz. S’il avait épousé Charlotte, elle l’eût aimé comme un fils.
Sa tendre complicité avec Flora étant restaurée, M me Métaz retrouva l’auditrice qu’elle avait un moment perdue et put, à nouveau, prononcer le nom de Blaise de Fontsalte, rappeler son souvenir, commenter le contenu de ses lettres. Libre de se rendre deux ou trois fois par mois chez sa tante, elle n’y trouvait pas toujours un envoi de son amant lointain, mais elle prenait copie, dans un gros cahier, de tout ou partie de chaque message reçu, afin de s’en repaître à Vevey, en compagnie de l’amie, promue gardienne d’un recueil qui ne pouvait entrer à Rive-Reine. Entre la curiosité de Mathilde, heureusement plus intéressée par les informations politiques et mondaines, dont l’officier meublait sa correspondance, que par les tirades amoureuses de l’amant de sa nièce, et la patience avec laquelle Flora écoutait chanter les louanges de l’absent, Fontsalte acquit, au fil des mois, une proximité factice, la nature épique et généreuse d’un paladin de fiction. Le péché d’adultère de Charlotte s’en trouva comme désincarné, réduit en souvenirs et en mots.
– La chair s’est faite verbe, commenta Flora, caustique, un soir de décembre 1804 où Charlotte s’était montrée particulièrement prolixe après avoir reçu une longue lettre du colonel racontant le sacre de Napoléon I er .
Fontsalte n’avait pu donner autant de détails dans sa missive que le Messager boiteux en rapporta à ses lecteurs veveysans. La cérémonie avait été célébrée à Notre-Dame, le 2 décembre, en présence du Sénat, du Tribunat, du corps diplomatique, « de fonctionnaires appelés de tout l’Empire », de députations militaires, d’une foule de dignitaires constituant la cour de l’empereur. Tout ce monde avait défilé, des Tuileries à la cathédrale, derrière le carrosse impérial « précédé par huit escadrons de cuirassiers et de chasseurs de la Garde entremêlés de mameluks ». Le journaliste, ébloui par le luxe du cortège, racontait : « Il serait difficile de donner une idée de la beauté de cette pompe, tous ces divers équipages rivalisaient de richesse et d’élégance, tant pour les formes et les ornements que pour les attelages, le nombre de gens, la beauté, la pro preté et la variété des livrées. On aura une idée de l’espace que ce cortège occupait et du nombre dont il était formé, en faisant remarquer qu’une heure et demie suffisait à peine pour le voir passer. Arrivé à l’Archevêché, l’Empereur y est descendu pour se revêtir des ornements impériaux. De là, il s’est rendu à l’église, entouré de grands officiers et précédé de l’Impératrice parée du manteau impérial et escortée des Princesses et des Dames d’honneur. »
Quant au sacre proprement dit, le Messager le résumait en ces termes : « Les prières accoutumées ayant été récitées, LL. MM. se sont rendues au pied de l’autel pour y recevoir l’onction sainte, que le souverain Pontife leur a faite sur la tête et sur les deux mains.
» Après cela, Sa Sainteté a béni les couronnes, les manteaux, les anneaux. Après ces bénédictions LL. MM. se sont retournées au pied de l’autel, entourées des grands officiers de l’Empire. L’Empereur a reçu alors l’anneau, l’épée, le manteau, la main de justice, le sceptre et la couronne. L’Impératrice a reçu l’anneau, le manteau et la couronne, cette dernière lui a été remise par S. M.
» L’Empereur s’étant assis, le Pape a récité une prière, a baisé l’Empereur sur la joue et se tournant vers les assistants a prononcé les paroles suivantes : Vivat Imperator in aeternum et les assistants ont répondu Vivent l’Empereur et l’Impératrice ! 5 »
Le journaliste suisse commentait ensuite trois journées et nuits de festivités et réjouissances populaires, défilés, distribution de médailles, concerts, bals, feu d’artifice, mâts de cocagne, retraite aux flambeaux, et concluait par la distribution, au Champ-de-Mars, des aigles et des drapeaux aux différents régiments. Invités par Napoléon I er à suivre, jusqu’à la mort, ces emblèmes, points de ralliement, « partout où votre Empereur le jugera nécessaire pour la défense de son trône et de son peuple », les militaires avaient prêté serment avec
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