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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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heures, jusqu’à une heure avancée de la nuit ! Et malheur à qui donne des signes de sommeil ! C’est la radiation assurée de la liste des invités !
     
    » Parmi les messieurs que j’ai le plus admirés, je place au premier rang M. de Chateaubriand. Il est beau, il est noble, il est fin, il est mélancolique et énonce d’une voix suave des sentences admirables. Et puis il y a tout de même plusieurs Suisses que M me  de Staël apprécie et que je trouve en tout point dignes des étrangers. M. Charles Sismondi, un Genevois promis à la même rondeur physique qui se trouve dans son caractère, bon, aimable, sincère. C’est un savant, agronome et poète, âgé de trente-deux ans. Il est l’auteur d’un Tableau de l’agriculture et d’un traité, pour moi fort abstrait et que je n’ai point envie de lire, ayant pour titre : De la richesse commerciale ou principe d’économie politique appliqué à la législation du commerce . Il faut cependant l’entendre disserter, avec un lyrisme inattendu, sur l’irrigation des terres, le métayage, la culture du mûrier, l’élevage du ver à soie. C’est un homme qui découvre une essence poétique dans tout ce qu’il étudie. Il sait rendre la science plaisante et j’imagine que c’est pourquoi M me  de Staël l’avait emmené avec sa famille en Italie où, permettez-moi de rapporter ce ragot entendu dans le parc, elle aurait eu quelque faiblesse pour un Adonis portu gais, don Pedro de Souza, tout chagrin de la mort de son père. À Coppet, j’ai vu et entendu, pour la première fois, un Bernois de Genève, connu de tout ce qui pense : M. Victor de Bonstetten. C’est un vieux monsieur de soixante ans, qui porte beau et a une façon de regarder les jeunes personnes, y compris votre servante (tss, tss, tss, soyez donc un peu jaloux), qui en dit long sur sa verdeur ! M. de Bonstetten a voyagé en Hollande, en Allemagne, en Italie et il a publié, l’an dernier à Genève, un livre qu’il m’a fait l’honneur de m’offrir (tss, tss, tss, soyez encore plus jaloux). Le titre est : le Voyage sur la scène de six livres de l’Envide , et, celui-ci, j’ai bien l’intention de le lire !
     
    » On m’a encore présenté M. Prosper de Barante, un Français, fils du préfet de Genève, qui pose sur Germaine de Staël, laquelle pourrait être sa mère, des regards qui ne sont pas d’un fils ; M. Elzéar de Sabran ; M. le baron Voigt d’Altona ; M. de Montmorency, un familier de Coppet ; le baron Balk, dont je ne sais rien, et le prince Auguste de Prusse, qui était de passage.
     
    » Si je vous dis encore qu’on parle à Coppet aussi bien le français que l’allemand ou l’italien et que tout le monde adhère à la Société des Amis des Noirs et condamne, avec l’abbé Raynal, la traite et l’esclavage, vous saurez tout de mon séjour chez la femme la plus admirable et la plus séduisante que j’aie rencontrée. Votre Napoléon a eu bien tort de se fâcher avec elle et de ne pas entendre ses réflexions et celles de ses amis. Même si celles-ci avaient été plus littéraires et sentimentales que politiques et stratégiques, elles lui auraient certainement permis d’affiner ses vues sur l’Europe de demain. »
     

    Ayant complété sa lettre par des épanchements amoureux édulcorés, traduisant en termes pudiques des pensées qui ne l’étaient guère, Charlotte cacheta son message et le confia à sa tante pour expédition.
     
    – Ma chère, mais c’est un vrai roman que tu lui envoies, à ton amoureux ! dit M lle  Rudmeyer en soupesant le pli.
     
    – Je lui raconte Coppet où, grâce à vous, ma tante, j’ai eu le sentiment d’avoir un cerveau utilisable et l’occasion de m’en servir !
     

    Au commencement de septembre, les journaux lausannois confirmèrent des nouvelles données jusque-là comme officieuses. L’Autriche et la Russie ayant rejoint la Grande-Bretagne dans le camp des ennemis de la France, la guerre allait se rallumer à travers l’Europe. Une nouvelle coalition, la troisième depuis la Révolution, s’était constituée dès le 9 août, grâce aux intrigues et à l’or de l’Angleterre. George III, et surtout son Premier ministre, William Pitt, tenaient à affirmer la suprématie d’Albion sur les mers. Le tsar Alexandre I er , qui se faisait une idée de l’Europe bien différente de celle des révolutionnaires français, se prenait à rêver d’un destin continental.

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