Helvétie
connaisse les saisons et sorte des jupes des femmes, dit Métaz.
Vrai Vaudois, robuste et endurant, il s’accommodait de tous les temps et tenait pour femmelettes ceux qui redoutaient les intempéries.
Emmitouflé par Polline, coiffé d’un bonnet de tricot et ganté de moufles, Axel embarqua ce jour-là avec enthousiasme. Il rythmait de ses cris les mouvements d’avirons du bacouni, quand il aperçut la petite barque des Ruty. Charles, le notaire, ami de son père, revenait d’une partie de pêche avec ses filles jumelles, Amandine et Bernadette, que tout le monde appelait Nadette et Nadine. Reconnaissant ses compagnes de jeu, Axel se dressa sur son banc en criant qu’il fallait attaquer ce bateau.
– Je suis l’amiral Nelson, mets toute la voile, nous allons couler l’ennemi, cria-t-il au batelier.
Ce dernier, entrant dans le jeu, se mit à ramer plus vite en direction du bateau du notaire, à bord duquel les petites filles faisaient de grands signes de reconnaissance. Les barques se rapprochèrent tandis que, de l’une à l’autre, les enfants s’interpellaient.
– À l’abordage ! À l’abordage ! se mit à vociférer Axel en brandissant, telle une hache, l’écope ramassée au fond du naviot.
Les embarcations allaient se joindre mollement, bord contre bord, quand Axel grimpa sur son banc et, enjambant le bordage, voulut se précipiter, avant que quiconque ait pu imaginer une telle témérité, dans le canot des Ruty. La légère houle provoquée par les manœuvres fit qu’à cet instant un clapot éloigna les barques l’une de l’autre. Axel-Nelson tomba à l’eau. Il n’y resta guère, Charles Ruty et le bacouni s’étant tous deux précipités pour saisir le naufragé avant qu’il ne soit submergé. Axel, suffoquant, crachant comme un triton et tremblant de froid, fut hissé dans la barque des Ruty où Nadine et Nadette, cramponnées au bordage, ne savaient s’il fallait rire ou pleurer. Promptement débarrassé de ses vêtements mouillés, frictionné et enveloppé dans une couverture par Charles Ruty, Axel retrouva vite ses couleurs et son assurance.
– J’ai pris votre navire, vous êtes tous les prisonniers de Nelson, comme à Trafalgar, cria-t-il, ce qui déclencha les rires des petites et de leur père.
Seul le bacouni faisait grise mine, en pensant à l’admonestation patronale qu’allait lui valoir cet accident, pour n’avoir pas été capable de prévenir les fantaisies d’Axel.
– Gredin, petit gredin, tu aurais pu te noyer ! Je ne te prendrai plus dans ma barque. Et tu vas sentir la correction que va te donner M. Métaz, tiens !
Charles Ruty fit observer qu’il ne s’agissait que d’un bain forcé.
– Il faut bien qu’un Vaudois goûte, un jour ou l’autre, à l’eau du lac ! Voilà qui est fait. Axel saura maintenant qu’en fanfaronnant sur un naviot on court le risque de tomber à l’eau et de se noyer, si l’on ne sait pas nager ou si de bons amis ne sont pas là pour vous tirer d’affaire ! Je suis bien certain qu’il ne recommencera pas, n’est-ce pas, Axel ?
– Mon père, y me fera nager et après je pourrai me baigner comme les garçons qui s’amusent dans l’eau ! Voilà, grogna le coupable.
Pour atténuer les conséquences de l’aventure, le notaire offrit de ramener Axel à terre et le bacouni s’éloigna, satisfait de n’avoir pas à affronter, dans l’immédiat, la colère de Guillaume Métaz.
Nadine et Nadette se conduisaient, au dire de leurs parents, comme de vrais garçons manqués. Grassouillettes et rougeaudes, solidement campées sur leurs jambes courtes, crânes, insensibles aux heurts et aux chutes, elles étaient les meilleures camarades d’Axel. Toutes deux enviaient la taille de leur compagnon de jeux qui, bien que plus jeune d’une année, les dépassait d’une tête. Leurs cheveux blonds et raides, pareille ment nattés, mais retenus par des rubans de couleurs différentes – vert pour Nadine, rouge pour Nadette – faisaient dire aux Veveysans : « Les jumelles du notaire seront de belles plantes vaudoises. » Et, comme le notaire passait pour riche et habitait une des plus belles maisons de la ville, on ajoutait : « Dans une douzaine d’années, elles feront de beaux partis. »
M e Ruty s’empressa de regagner la berge et accosta près de sa demeure. Tandis qu’on mettait à sécher les vêtements du petit garçon,
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