Helvétie
ou de Wedgwood de M lle Rudmeyer pour autant de « nids à poussière ».
– En tout cas, tu ne dois rien toucher, n’est-ce pas. Ne pas faire de grands gestes avec tes bras, ni courir dans les salons, recommanda M me Métaz.
Comme Axel, intimidé par cette mise en garde, fixait sur sa mère un regard inquiet, son père le rassura :
– T’en fais pas, mon garçon, tu viendras avec moi chez mon banquier, M. Bugnion : il a deux garçons et un grand jardin. Là, tu pourras t’ébattre sans risquer de casser le pot à tisane de Charles le Téméraire ou l’encrier du major Davel !
Ces commentaires ironiques, sur deux objets auxquels M lle Rudmeyer tenait particulièrement, étaient destinés à Charlotte plus qu’à l’enfant, pour qui le Téméraire et le martyr de l’indépendance vaudoise restaient encore des inconnus. Guillaume, qui aimait les intérieurs nets et sobres, redoutait la propension des Rudmeyer à dépenser de l’argent pour ce qu’ils nommaient œuvres ou objets d’art, choses fragiles, encombrantes et sans utilité.
Comme l’enfant se retournait vers la portière pour observer le paysage, M me Métaz, baissant le ton, se pencha vers son mari et désigna leur fils d’un mouvement de tête.
– N’as-tu pas noté combien la différence de couleur de ses yeux s’est augmentée depuis quelques mois ? Maintenant, on la remarque vraiment. Et je me demande, puisque nous allons à Lausanne, s’il ne faudrait pas le montrer à l’oculiste.
– Tu sais, je l’observe, car ce regard vairon m’a souvent inquiété. Parfois, je lui bouche alternativement un œil puis l’autre et je lui demande ce qu’il voit, par exemple un bateau, au loin, sur le lac. Eh bien, dans les deux cas, il voit parfaitement. Mais, si cela peut te rassurer, ce n’est pas ce que ça coûte, nous irons voir le docteur.
Dès le lendemain de leur arrivée à Lausanne, les Métaz montrèrent leur fils au praticien. Ce dernier, obstruant alternativement avec un disque noir l’œil droit puis l’œil gauche d’Axel et demandant à l’enfant de reconnaître, à distance, des silhouettes d’animaux, confirma sans hésitation que l’acuité visuelle du bambin était normale.
– Tu vois, le docteur a fait exactement ce que je fais, nous aurions pu éviter de le déranger, dit Guillaume après avoir réglé les honoraires de l’oculiste.
Charlotte sourit, en traduisant mentalement cette considération de son mari par : « Nous aurions pu économiser le prix d’une consultation ! »
Mathilde Rudmeyer attendit que Métaz fût à ses affaires pour remettre à sa nièce une lettre, arrivée deux jours plus tôt de Paris.
– Enfin ! dit Charlotte, deux mois que je suis sans nouvelles !
Elle allait faire sauter le cachet de cire rouge quand elle s’avisa que l’écriture n’était pas celle de Blaise. Le cœur battant et les mains tremblantes, elle se hâta d’ouvrir le message, craignant confusément une mauvaise nouvelle. Avant d’oser lire le texte, elle déchiffra la signature et vit qu’il s’agissait de celle, élégamment calligraphiée, du général Ribeyre. Cette découverte attisa ses craintes et, près de défaillir, elle se laissa aller contre le dossier de la bergère qu’elle occupait. Mathilde Rudmeyer vit instantanément le trouble et la pâleur soudaine de Charlotte.
– Qu’est-il arrivé ? Mauvaise nouvelle ?
– Je ne sais pas… Je n’ose pas lire… C’est un ami de Blaise qui écrit et j’ai peur…
– Donne-moi cette lettre. Il faut tout de même savoir ce qu’elle contient, ma petite, avant de te tourner les sangs comme ça, ordonna Mathilde.
Elle saisit, d’une main, la lettre, de l’autre, le face-à-main qui pendait sur sa poitrine, au bout d’une chaîne d’or, et lut sans préliminaire :
– « Madame, mon ami Blaise de Fontsalte se trouvant actuellement à Schönbrunn, en Autriche, d’où il ne peut vous écrire commodément, je lui ai promis, en quittant l’Autriche pour rentrer à Paris, de vous donner des nouvelles de lui dès mon arrivée. Tout d’abord, une nouvelle qui aurait pu être mauvaise et qui heureusement n’a rien de calamiteux. Le colo nel a été blessé le 2 décembre 1805, lors de la bataille que nous avons livrée aux Austro-Russes, près d’Austerlitz, et qui fut une belle victoire. Rassurez-vous, le colonel n’a reçu qu’un
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