Helvétie
contingent suisse et confirmer l’admission de « vingt jeunes gens de l’Helvétie à l’École polytechnique de France » après qu’ils eurent subi les examens prescrits.
Ce dont on se vantait moins, mais qui se savait à Paris, était le départ clandestin de jeunes volontaires suisses qui, appâtés par de fortes soldes, s’enrôlaient dans les armées anglaise, prussienne ou autrichienne. Ces garçons, héritiers des mercenaires d’autrefois, risquaient, un jour ou l’autre, de se trouver, sur un champ de bataille, face à des compatriotes appartenant aux quatre régiments suisses de la Grande Armée !
Ces enrôlements de Suisses dans les armées ennemies de la France eurent une heureuse conséquence pour Charlotte Métaz, puisqu’ils décidèrent le général Ribeyre à envoyer en Suisse celui qui avait le plus envie de s’y rendre, le général Blaise de Fontsalte. Les deux amants se retrouvèrent à Lausanne, en septembre, mais n’eurent que peu d’heures à partager, Blaise ayant à se rendre, au plus tôt, dans les cantons du Nord où les agents anglais et autrichiens recrutaient des volontaires.
À l’occasion de cette visite du Français, Mathilde Rudmeyer, qui avait jusque-là toléré les relations épistolaires de sa nièce et de Blaise, tout en désapprouvant ce qu’elle nommait pudiquement les rapprochements physiques, fit à Charlotte une offre qui, désormais, facilita ceux-ci. Depuis qu’elle était entrée dans la voie des confidences sur son passé sentimental, M lle Rudmeyer ne mesurait plus sa complicité.
– Une passion comme celle qui vous tient ne peut se satisfaire de paroles et de lettres et il ne sert plus à rien de lui opposer les obstacles hypocrites des conventions. Le péché d’adultère n’est pas dans le geste mais dans l’esprit, avait-elle fini par admettre.
Tout en soutenant qu’il s’agissait moins d’encourager les amours coupables de sa nièce que d’éviter à cette dernière de commettre des imprudences qui eussent débouché sur le scandale, elle procura aux amants un abri sûr et discret.
Mathilde disposait, au-delà du port d’Ouchy, en direction de Pully, d’un ancien moulin sur la Vuachère, petite rivière descendant des hauteurs de La Sallaz. Cette antique dépendance d’un manoir disparu avait été, autrefois, confortablement aménagée par l’homme que Mathilde avait aimé. La vieille demoiselle s’y rendait quelquefois pour ranimer les souvenirs du passé, chasser la poussière, écouter, assise devant l’âtre, face à un grand fauteuil où ne s’asseyait nul fantôme, la psalmodie de la cascatelle sur les pales immobiles de la roue du moulin.
En offrant cet asile à sa nièce, elle ne faisait que le rendre à sa destination et éprouvait une satisfaction mélancolique en sachant le moulin sur la Vuachère destiné à nouveau aux amours inavouables.
– Tu devras y porter du linge et des provisions. Et tu pourras y laisser ce que tu voudras, dit-elle à sa nièce en lui confiant deux clés, ce qui sous-entendait que Blaise pourrait en conserver une.
On accédait au moulin par trois chemins différents, ce qui permettait aux visiteurs d’y parvenir séparément et sans être remarqués. Un hangar clos et une écurie évitaient de laisser à la vue chevaux et voitures.
Charlotte fut un peu déçue de voir arriver Blaise de Fontsalte en civil. Elle l’eût aimé en uniforme de général. Fontsalte expliqua qu’il avait fait un long détour pour lui rendre visite, sa mission l’appelant dans le nord de la Suisse et non sur les rives du Léman. Il voyageait seul, à bord d’un cabriolet léger, attelé de deux chevaux. Sa berline serait conduite par Trévotte en un lieu dont il ne révéla pas le nom.
Quand Dorette eut expertisé la balafre que dissimulaient, du maxillaire à la pommette, les favoris bruns de Blaise, elle expliqua que ce moulin serait désormais leur lieu de rendez-vous et voulut faire avec son amant le tour du propriétaire.
– Commençons par la chambre, dit Fontsalte en étreignant la jeune femme avec une impatience qui ne déplut pas.
Plus tard, quand leurs sens furent apaisés, elle voulut tout savoir des batailles qu’il avait livrées, du grand choc des armées à Austerlitz, des circonstances de sa blessure, du palais de Schönbrunn, de Vienne, des beaux théâtres, des grands jardins, des bals, des fêtes dont les journaux avaient
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