Helvétie
les équipements des plus sommaire. On comptait dans le canton plus de cinq cents écoles et Vevey disposait d’une douzaine de chambres d’école 9 , le plus souvent installées dans des appartements, parfois celui du régent.
Au lendemain de Pâques, Axel fut conduit à l’école, qui comptait plus d’une centaine d’élèves. Il s’y sentit tout de suite à l’aise. Comme il connaissait déjà ses lettres et était même capable de lire des mots de deux syllabes, il fut vite remarqué par le régent et, au bout d’une semaine, suivant le principe de l’enseignement mutuel, promu moniteur d’un groupe d’enfants moins avancés que lui. Le régent, qui donnait des directives aux moniteurs, interrogeait les écoliers et estimait leurs progrès, assurait aussi la discipline générale. Axel, investi pendant quelques jours d’une fonction pédagogique qui consistait à faire reconnaître à ses camarades les lettres de l’alphabet découpées dans des plaques de carton, se révéla d’une surprenante autorité. Le régent dut intervenir pour le prier de modérer son ton et lui interdire de traiter de bobets 10 les enfants qui se trompaient ou ne savaient que répondre. En quelques mois, le garçonnet fit de rapides progrès, passant d’un groupe à la section supérieure, tout en assurant périodiquement, comme d’autres enfants doués, les fonctions de moniteur. Il rentra triomphant à Rive-Reine le jour où il devint moniteur du groupe dans lequel se trouvaient ses amies, les jumelles Ruty.
– Tu vas être gentil avec elles et ne pas les houspiller si elles ne savent pas écrire le mot lune ou réciter un psaume, prévint Charlotte, qui connaissait par le régent la façon d’enseigner de son fils.
– Mais, maman, si je suis gentil avec Nadine ou Nadette, les autres diront que c’est parce que c’est des amies de dehors ! Je dirai comme aux autres. C’est la justice !
– Très bien, mon garçon, la justice, même chose pour tous. Voilà un bon principe, dit Guillaume, qui assistait à la conversation.
À l’époque de l’année où bon nombre d’élèves désertaient l’école pour aider leurs parents aux travaux des champs, les enfants des commerçants et ceux des bourgeois, peu nom breux, qui continuaient à fréquenter la chambre d’école du Casino bénéficiaient d’un enseignement plus sélectif. Dans une salle moins bruyante, où d’ordinaire le raclement des sabots sur le plancher couvrait les voix fluettes des moniteurs, le régent s’appliquait à parfaire le savoir acquis au cours des derniers mois. Ce pédagogue dévoué venait de confier à M me Métaz que son fils était prêt pour le collège et qu’il lui paraissait très capable de faire de bonnes études, quand survint un incident qui mit fin au séjour d’Axel à l’école lancastérienne.
Depuis quelques semaines, on s’entretenait beaucoup à Rive-Reine d’un drame en cinq actes, Wilhelm Tell , du poète allemand Friedrich Schiller, mort deux ans plus tôt. Martin Chantenoz venait de recevoir le texte de ce drame, dont il vantait l’atmosphère champêtre et la force tragique, Schiller ayant su faire de l’histoire de Guillaume Tell un hymne grandiose à la liberté et à l’idéal.
Entendant le nom de Guillaume Tell revenir dans la conversation, Axel, qui avait d’abord reconnu le prénom de son père, voulut tout savoir de ce M. Tell. L’enfant s’adressa, comme il le faisait assez spontanément, à celui qui avait toujours l’air de savoir plus de choses que les autres, Martin Chantenoz.
Un soir, Axel demanda à sa mère la permission de venir au salon pendant que les grandes personnes s’y trouvaient, pour « demander quelque chose à Martin ».
Ce dernier, dûment questionné, expliqua qu’en 1307 Albert, le duc noir, fils et successeur de l’empereur Rodolphe de Habsbourg, voulut soumettre les Suisses et faire de leur pays un État autrichien. Des patriotes des cantons de Schwyz, d’Uri et d’Unterwald s’assemblèrent secrètement pour organiser la lutte contre un affreux pillard, le bailli Gessler, représentant du duc noir qui habitait Altdorf.
– C’était un méchant homme qui volait les récoltes des paysans, mettait au cachot les récalcitrants et ne pensait qu’à prélever des dîmes et humilier les Suisses, qui avaient jusque-là bénéficié d’un statut de liberté. Un jour, ce vilain Gessler, qui avait eu vent par
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