Helvétie
incestueux !
– Et tu oublies que, ce jour-là, trente-deux hommes des Gardes-Suisses furent pendus par la populace, ajouta Flora, qui tenait une comptabilité intransigeante des Suisses massacrés par les révolutionnaires français, qu’elle abhorrait.
– Même si Tell n’est qu’un personnage mythique, comme tu dis, permets-nous de le préférer aux tricoteuses et aux guillotineurs.
– C’est un héros pur et solitaire, dont tous les Suisses peuvent être fiers, conclut Guillaume, approuvé par tous.
L’histoire de Guillaume Tell devait inspirer à Axel un jeu redoutable. L’enfant réussit à convaincre Blanchod de lui confectionner une arbalète avec une planchette, une branche de noisetier et une ficelle, puis de tailler quelques flèches, qu’il orna de plumes arrachées à une poule. Pendant plusieurs jours, l’enfant s’exerça au tir contre les dauphins de pierre de la fontaine.
Un de ses camarades d’école étant venu jouer à Rive-Reine, avec son petit frère de trois ans dont il avait la garde, Axel raconta, à sa façon, l’histoire de Guillaume Tell et du bailli Gessler. Son arbalète – qui ressemblait plutôt à un arc – à la main, il ne tarda pas à distribuer les rôles. Le plus grand des garçons fut fait bailli autrichien, le plus petit devint Walter, le fils de Guillaume Tell, dont Axel se réserva d’incarner le personnage dans la scène de l’exploit. D’une incursion au cellier, Axel rapporta, faute de pomme, une poire, qu’il plaça sur la tête du bambin, et s’éloigna de cinq pas, distance qu’il estima de bonne portée pour son arme.
– Surtout, ne bouge pas. Fais confiance à ton père, reste comme une statue, dit Axel, qui savait son texte.
L’enfant à la poire n’était qu’à demi rassuré. Il ferma les yeux pour ne pas voir Axel bander son arbalète et poussa un affreux cri quand la flèche emplumée lui griffa la joue.
Cris et lamentations attirèrent Pernette, puis Polline, sur la terrasse. On baigna l’égratignure, qui n’était rien mais se situait, sur la pommette du petit garçon, à moins de deux centimètres sous l’œil.
– Oh ! la, la ! mon Dieu, mais tu aurais pu lui crever l’œil, à ce petit, dit Pernette, tandis que Polline confisquait l’arme du délit et que l’archer, penaud et plein de sollicitude pour sa victime, devenait conscient du drame qu’il avait failli provoquer.
Consolé par une tasse de lait à la cannelle et un gros morceau de tarte, le blessé, en rentrant chez ses parents, avait oublié sa frayeur et se montrait même fier d’une blessure qui le posait en héros malheureux.
M me Métaz, informée de l’incident, réprimanda son fils et se promit de sermonner Blanchod. Guillaume Métaz considéra qu’Axel avait été assez puni par les femmes et se contenta de l’envoyer au lit une heure plus tôt que d’habitude, après qu’il l’eut obligé à demander publiquement pardon à Dieu pour le péché d’orgueil à l’origine de son comportement.
Les choses en seraient restées là si, le lendemain de l’affaire, la mère du blessé ne s’était présentée à Rive-Reine, en demandant à voir M me Métaz. La femme, une servante de l’auberge proche du château, venait simplement réclamer le remboursement d’une consultation médicale.
– Vous comprenez, ce morceau de bois de votre garçon qu’est entré dans la joue du petit, il était peut-être pas propre. Et mon mari a dit comme ça qu’ ça peut faire un abcès. Alors, le docteur a soigné mon gamin, mais ça m’a coûté douze batz, avec la fiole chez l’apothicaire. C’est tout ce que je veux, madame.
Charlotte se montra aimable, paya sans discuter ce qu’on réclamait et se préparait à accompagner la visiteuse jusqu’au seuil, en parlant de la pluie et du beau temps, quand Axel survint.
– Tenez, voilà le coupable, le polisson, qui, croyez-moi, s’est fait bien du souci après cette sottise, dit M me Métaz en attirant son fils contre elle.
– Oh ! mais je le connais, votre garçon. Il va à lancastre avec mon aîné. J’ai pas des conseils à vous donner, madame, mais un garçon qu’a les yeux comme ça, faut y faire attention. Chez nous, au pays d’En-Haut, on dit : « Yeux vairons, aucun n’est bon. »
Comme Charlotte, un peu offusquée, allait répondre, la femme ajouta à mi-voix :
» Y’a des ans, quand les
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