Helvétie
1806 considérait, à la sortie de l’école primaire, l’existence de deux catégories d’élèves : ceux capables de suivre des études supérieures et ceux qui ne pouvaient, ou ne souhaitaient, dépasser le niveau d’une bonne culture générale. On venait donc d’ouvrir une section latine, pour la première catégorie, et une section française, pour la seconde. La section latine accueillait les enfants qui savaient lire et écrire correctement. Elle amorçait un cycle d’études de sept années, donnant accès à l’auditoire des Belles-Lettres de Lausanne, où l’on enseignait la philosophie, la théologie et le droit. Les élèves de la quatrième classe de la section latine, dite collège académique, se perfectionnaient en écriture et orthographe pendant un an puis, à partir de la troisième, passaient deux ans dans chaque classe, afin d’apprendre, au fil des années, l’arithmétique, l’histoire, la géographie, la grammaire française, le latin, le grec, mais aussi le chant des psaumes et les préceptes de la religion réformée. Ces deux derniers enseignements tenaient une place importante dans l’emploi du temps, ce qui faisait dire à Chantenoz : « Autrefois, les paysans catholiques voulaient que leurs fils devinssent curés. Aujourd’hui, les réformés veulent en faire des pasteurs. La religion a toujours été, chez nous, une profession très prisée ! »
En sortant de première latine à quatorze ans, les collégiens de Vevey devaient être capables de suivre les cours de l’Académie de Lausanne, qui comptait quatorze chaires, dont sept pour les belles-lettres, trois pour la théologie et deux pour le droit. Plus d’une centaine d’étudiants venaient d’y être admis lors de la rentrée de 1807.
Dès le premier cours, le régent expliqua aux nouveaux que l’instruction qu’on allait leur dispenser avait, d’abord, pour but de faire d’eux de bons chrétiens, par l’étude de l’Histoire sainte et la récitation des psaumes, et de bons citoyens, par l’apprentissage des vertus civiques. Il ne dit mot de la formation intellectuelle et scientifique, mais précisa que l’usage du patois était prohibé et qu’un élève surpris à parler vaudois, même en dehors des leçons, serait puni.
Axel dut d’abord apprendre une hymne religieuse, composée sur la musique du psaume 65, qui avait été chantée pour la première fois le 12 avril 1799 par les élèves du collège et qui commençait par un appel patriotique au Tout-Puissant :
Monarque éternel et suprême
De la terre et des cieux ,
Daigne, sur un peuple qui t’aime,
Daigne tourner les yeux !
Tous les cantons de l’Helvétie,
En ce jour solennel ,
De cet autel de la patrie ,
Font aussi ton autel .
À la fin du premier mois, on sut qu’Axel Métaz dominait, en lecture, en écriture et en récitation, les trente-cinq élèves de sa classe. Ces derniers, fils de bourgeois, de membres des professions libérales, de négociants, de commerçants, plus rarement de cultivateurs, avaient tous remarqué le regard bicolore de leur camarade. Deux d’entre eux, qui avaient osé s’en moquer, l’un en disant que le petit Métaz était bicle 1 , l’autre en comparant ses yeux à des mâpis 2 , avaient été, sur-le-champ, rossés à coups de poing. Cette correction, administrée par un garçon plus grand et plus fort que la plupart de ceux du même âge, avait aussitôt valu à Axel le qualificatif de gigasse 3 et le respect de toute la volée 4 .
S’il ne s’était pas fait d’autre ami que le fils du boulanger, qu’il avait connu à l’école lancastérienne, Axel Métaz était de tous les jeux pendant les récréations. Rapide et agile, il se révélait intouchable à la puce malade 5 , assez adroit pour lancer le parade 6 et prompt à rattraper la balle à la bataille 7 , le jeu de ballon le plus populaire parmi les collégiens. Mais ce qui surprit Charlotte et réjouit autant Guillaume que Chantenoz fut l’appétit de savoir que l’enfant manifesta, dès qu’il fut en possession de ses livres de classe. Chaque leçon nouvelle déclenchait une cascade de questions, auxquelles père et mère étaient parfois incapables de répondre et qui entraînaient l’enfant bien au-delà de la curiosité que pouvait attendre d’un bon élève le régent de la classe. Axel trouvait que tout allait trop lentement et, au jour de Pâques 1808, il avait déjà assimilé ce qu’il
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