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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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aurait dû apprendre en une année. M. Métaz, certain que son fils possédait des dispositions exceptionnelles pour l’étude, eut une conversation avec le régent, puis avec le principal du collège, qui refusèrent, malgré l’intervention du pasteur, de faire « monter » Axel en troisième, où son avidité de connaissances eût trouvé à se satisfaire.
     
    – Votre fils vient tout juste d’avoir sept ans : on ne peut le mettre dans une classe dont les élèves ont deux ans de plus. C’est une question de maturité. À lui charger prématurément le cerveau, nous risquerions de le fatiguer outre mesure. L’enseignement est, si j’ose dire, scientifiquement dosé. Maintenant, si vous trouvez que celui que nous dispensons à votre fils est trop lent ou insuffisant, confiez-le à un précepteur… et vous verrez le résultat, tant au point de vue de l’éducation religieuse que morale, conclut avec un peu d’humeur le régent.
     
    Guillaume Métaz réfléchit pendant une semaine et, après un échange de vues avec sa femme, prit Chantenoz à part, quand celui-ci apparut, comme souvent, après le repas du soir, pour participer à la veillée.
     
    – Combien gagnes-tu dans ton collège, Martin ?
     
    – Oh ! il n’y a pas de mystère : depuis la loi de 1806, je reçois, comme régent enseignant le français, le grec et le latin, neuf cents francs par an. Il faut ajouter à cela les leçons particulières que je donne, sans aucun profit pour eux d’ailleurs, à des chenapans paresseux, et qui me rapportent une centaine de francs dans l’année.
     
    – Ça te fait mille francs de Suisse, quoi, dit Guillaume.
     
    – Ah !… j’oubliais que je reçois aussi huit quarterons de froment et huit setiers 8 d’un vin communal qui ne vaut pas le tien et que, d’ailleurs, je ne bois pas. Je ne vais même pas chercher ces suppléments en nature. Je les vends, pour pas cher, au pasteur Nivolet, qui a six enfants. Mais pourquoi me demandes-tu ça ? Tu veux m’emprunter des sous, Guillaume ? Tu as des dettes ? Sache bien, mon pauvre ami, que je n’ai jamais fait d’économies et que le plus gros de ce que je gagne passe dans l’achat de livres !
     
    – Je ne veux rien t’emprunter du tout, Martin, je veux te faire une proposition. Charge-toi de l’éducation d’Axel, comme on faisait autrefois dans les grandes familles, et je te donne, jusqu’à ce que le petit aille à l’Académie de Lausanne, mille deux cents francs par an, payables en douze mensualités de cent francs.
     
    Martin Chantenoz, comme chaque fois qu’il était ému ou étonné et cherchait à se donner une contenance, retira ses lunettes et se mit à polir les verres avec son mouchoir.
     
    – Tu dis ça pour rire, Guillaume.
     
    – Non point, Martin, c’est une offre carrée et sans fard. J’ajoute que si tu acceptes, tu pourras prendre le repas de midi à la maison, car je crois qu’un précepteur éduque autant qu’il instruit et tous les instants de la journée sont bons pour ce faire. Si ma proposition t’agrée, tope là ! acheva Métaz en tendant sa paume ouverte à Chantenoz.
     
    Martin prit le temps de la réflexion, chaussa ses lunettes et, négligeant la main tendue, se leva et se mit à marcher de long en large dans le salon.
     
    – Vois-tu, Guillaume, ce que tu me proposes comporte une lourde responsabilité. Je conçois le rôle de précepteur, non pas comme les jeunes pasteurs qu’emploient les bonnes familles huguenotes pour diriger les études de leurs enfants et leur apprendre à se tenir à table, mais comme le concevaient les anciens. Il y a une grande différence entre un régent particulier et un mentor. Mentor ou Mentès, c’est le guide attentif et sage qui enseigne, conseille, sermonne, accompagne son élève jusqu’à ce qu’il soit un homme fait. Le meilleur exemple est le Mentor de l’Odyssée , qui donna son nom à la fonction, celui qui aide Télémaque à retrouver Ulysse, son père. Mais le Mentor de l’Odyssée n’est qu’un avatar d’Athéna, la sagesse et la ruse assemblées sous mille déguisements, la parfaite et froide régente. Suis-je assez sage et rusé pour instruire et éduquer Axel ? Voilà la question, le scrupule…
     
    – Holà ! holà ! poète, que me chantes-tu là ! Te voilà parti dans tes nuées familières ! Vevey n’est pas l’Olympe ! Axel n’a pas perdu son père et il ne s’agit que de l’instruire dans les mêmes

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