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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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soufflaient avec mollesse vers le ciel des jets d’eau irisés par le soleil, arcs-en-ciel liquides qui retombaient, pluies courbes et crépitantes, dans un bassin.
     
    – Mais c’est Versailles ! lança Blaise.
     
    – Ne vous moquez pas, capitaine. Nous sommes très fiers de nos fontaines, à Vevey. Avez-vous vu celle du guerrier, place du Vieux-Marché ? Elle date de 1635, c’est la plus ancienne de la ville. Et le soldat romain – certains disent qu’il s’agit de saint Martin – qui la domine fut sculpté dans du grès de La Sarraz par un artiste nommé Bugnion, qui reçut pour tout salaire 25 thalers 2 et un sac de blé !
     
    – La vôtre doit être plus récente, j’imagine, observa Blaise.
     
    – À peine. Elle ornait le parc d’un château en ruine à Saint-Gingolph, de l’autre côté du lac. Mon mari l’a fait démonter et l’a transportée ici sur un de ses bateaux. Quand elle a été reconstruite, nos ouvriers ont refait la tuyauterie et réparé je ne sais quel système. Depuis un an, elle fonctionne à merveille et nous nous réjouissons de sa fraîcheur… et de son chant !
     
    Tout en racontant l’histoire de sa fontaine, M me  Métaz considérait les jeux d’eau avec un sourire enfantin. Elle tint encore à faire apprécier au capitaine le dessin des parterres, géométrie de fleurs printanières où dominaient pensées finissantes, primevères et tulipes, puis le conduisit sous deux vieux platanes dont les branches basses, torturées avec science depuis de nombreuses saisons par les élagueurs, formaient tonnelle.
     
    – Le feuillage est encore pauvre, mais, en plein été, c’est un véritable salon de verdure !
     
    Comme elle proposait de marcher jusqu’à la gloriette qui, au fond de la terrasse, dominait la berge et d’où, affirma-t-elle, on bénéficiait d’une vue exceptionnelle, une violente détonation secoua l’air. La jeune femme sursauta et leva sur Blaise un regard inquiet.
     
    – Mon Dieu, que se passe-t-il ? Ce n’est tout de même pas le tonnerre !
     
    – Le canon annonce l’arrivée du Premier consul, madame, et cela signifie que je vais être en retard pour la revue. Puis-je vous demander où se trouve ma chambre, je dois encore me mettre en tenue.
     
    – Bien sûr, monsieur, pardonnez mon bavardage ! J’oubliais que vous êtes ici pour la revue. Je vous conduis.
     
    Elle trottina sur le gravier, vers l’aile gauche de la maison, poussa une porte, désigna un escalier.
     
    – Voilà, voilà, c’est à l’étage. Votre ordonnance a dû tout préparer avec Polline. Ne soyez pas en retard.
     
    Comme Blaise remerciait, en s’excusant d’interrompre un entretien qu’il eût volontiers prolongé en d’autres circonstances, l’hôtesse confessa :
     
    – Je dois moi-même me presser. J’ai rendez-vous à l’hôtel de Londres, place du Marché, avec deux amies. On nous a réservé un balcon. Nous ne voulons pas manquer ce spectacle militaire car…
     
    Un nouveau coup de canon couvrit la fin de la phrase.
     
    – Vous avez un quart d’heure, mais pas plus. À l’heure qu’il est, le général Bonaparte doit descendre de sa berline à l’entrée de la ville pour monter à cheval.
     
    Comme Blaise posait le pied sur la première marche de l’escalier, M me  Métaz se rapprocha.
     
    – Mon mari aurait certainement voulu vous recevoir à notre table pour le souper, mais il est absent. Il est quelque part sur le lac, entre Genève et Villeneuve. Le préfet du Léman a loué ses trois bateaux pour transporter les subsistances de l’armée. Mais peut-être nous reverrons-nous dans la soirée ?
     
    – Je le souhaite, madame, bien que je puisse être retenu fort tard par le service…
     
    – Si, en rentrant, vous voyez de la lumière au grand salon, ne manquez pas de vous montrer, je vous prie. J’ai toujours des amis pour la veillée.
     
    Fontsalte promit d’user de la permission et s’élança dans l’escalier.
     
    Trévotte attendait, confortablement calé dans un fauteuil, l’arrivée du capitaine.
     
    – Déjà deux coups, capitaine, va falloir vous hâter !
     
    – Les femmes sont bavardes, Titus. Les jolies femmes surtout. Et l’hôtesse est jolie comme un cœur.
     
    – Ça arrive aussi, capitaine, que les laides aient le fil bien coupé. Mais c’est pas le cas de la servante d’ici, par exemple ! Polline qu’elle s’appelle. Une vraie Carabosse, vieille, ratatinée,

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