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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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noiraude, bigleuse, torse, avec des mains comme des battoirs. Mais qui m’a pas dit trois mots. Quand je lui ai fait comprendre que je mangerais bien un morceau, sans déranger, elle a grogné. « Les Français nous prennent tout, notre vin, nos chevaux, notre avoine, des vrais pirates », qu’elle a dit. Comme vous m’avez dit qu’y faut pas faire d’histoires, j’ai pas répondu. Alors, elle a soufflé comme une chatte en fureur et elle est partie. J’y aurais demandé sa dernière dent qu’elle aurait pas été aussi colère. Un moment après, elle est revenue avec une assiette de viande séchée, du fromage, un pain et un pichet de vin blanc. Je me suis bien refait. Elle soufflait toujours. Mais je crois que c’est pas une mauvaise bête, cette vieille !
     
    Tout en s’habillant, Blaise explora sa chambre du regard. Cette vaste pièce, claire, ouvrait sur le lac par une porte-fenêtre donnant accès à un petit balcon. Un grand lit bateau, une belle armoire, une commode supportant une jolie barbière, une table, un fauteuil à oreilles et deux chaises constituaient l’ameublement. Une vraie chambre d’hôte, pas du tout le genre de local que les bourgeois contraints de loger un officier proposaient en général à l’importun. Les Métaz faisaient preuve d’un sens aimable de l’accueil, ce qui supposait, d’après ce que le capitaine savait des plaintes enregistrées depuis deux ans par les logeurs des militaires français de tous grades, une bonne dose de confiance et pas mal de témérité ! Cette attitude lui fut confirmée par les commentaires que fit Titus.
     
    L’écurie était propre, la soupente où il logeait offrait un bon lit, avec une paillasse, certes, mais bien sèche. Le palefrenier des Métaz, qui l’avait aidé à étriller et brosser Yorick, le cheval du capitaine, lui avait offert un coup de marc du pays, « râpeux comme un hérisson, mais bien revigorant ».
     
    – Il m’a dit aussi qu’y faudrait pas que j’allume de chandelle dans la soupente, pas même un rat de cave, ni mon briquet à amadou. Pour fumer ma pipe, faudra que je fasse comme lui, que j’aille à côté de l’abreuvoir, dans la cour ! Ici, les gens ont une vraie peur du feu. Paraît que dans les temps anciens, et y’a pas encore cinquante ans, des grands incendies ont brûlé beaucoup de maisons dans la ville. Jusqu’y’a pas longtemps, on donnait même des amendes aux fumeurs ! Et, avec ces sous, la municipalité achetait des échelles et des pompes, qu’ils appellent des seringues ! C’est des gens qui prévoient tout !
     

    Quand le capitaine et Titus se mirent en selle pour se rendre place du Marché, le canon avait encore tonné deux fois. Les cavaliers, allant au pas à travers la ville, représentaient bellement la Garde des consuls. Blaise avait passé le gilet à manches, vert garni de soutaches dorées à trois rangs de dix-huit boutons, la culotte hongroise, écarlate à passepoil jaune, qui, serrée dans les bottes à la hussarde, mettait en valeur ses longues jambes. Le capitaine avait aussi troqué l’habit en drap vert, tenue de route, contre une pelisse rouge doublée d’agneau blanc, qu’il portait suspendue à l’épaule par un cordon à raquettes. Complétant l’uniforme, le plumet vert à pointe rouge du colback agrémenté de tresses, les gants blancs et, sur les avant-bras, trois larges galons d’or, insigne de son grade, ajoutaient à la prestance naturelle du cavalier une touche héroïque à laquelle sa monture participait par le harnachement de parade : licol bordé d’un feston de drap rouge, filet de grande tenue à fil d’or, bride et surfaix de cuir fauve.
     
    Encapuchonné par la tension des rênes, le cheval levait haut les antérieurs, contraint à l’allure majestueuse du pas espagnol. Crins du toupet nattés avec un ruban rouge, sabots cirés et quoaillant, l’anglo-arabe semblait conscient de participer à une représentation. La schabraque de service avait été remplacée par une plus luxueuse, en peau de panthère, bordée d’un galon d’or sur fond écarlate et d’un feston de drap vert, qui s’étalait comme un manteau de cour dissimulant les fontes où, par précaution, Fontsalte serrait toujours deux pistolets chargés. Sur la croupe lustrée de Yorick, la tête naturalisée du fauve semblait, au rythme des pas, animée de tressaillements menaçants.
     
    La place du Marché était maintenant occupée par les demi-brigades

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