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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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de la division Boudet. Les troupes, alignées sur trois côtés de l’esplanade, le quatrième, celui du nord, où débouchait la route de Lausanne, étant libre, offraient aux Veveysans un spectacle comme ils n’en avaient pas vu depuis la fête des vignerons de 1791. Blaise de Fontsalte regretta que le soleil eût soudain disparu derrière un écran de nuages gris, ce qui affadissait les couleurs des uniformes, des guidons, des drapeaux, fanait les buffleteries et ternissait l’acier fulgurant des sabres.
     
    Au trot accéléré, le capitaine rejoignit l’état-major de la division, groupé au centre de la place. À peine avait-il salué les officiers supérieurs et quelques camarades qu’une salve d’artillerie annonça l’arrivée imminente du Premier consul. Blaise consulta sa montre de gousset. Elle indiquait deux heures trois quarts. Comme toujours, le général Bonaparte était exact.
     
    Un peloton du 12 e  hussards, qui escortait le Premier consul depuis son entrée en Suisse, surprit tous les assistants en déboulant sur l’esplanade au grand galop, dans un nuage de poussière. Tandis que le roulement des tambours et le crépitement des sabots se fondaient en un seul bruit de charge, les demi-brigades rectifièrent la position. Dès que le peloton de cavalerie eut trouvé ses marques, près du détachement de la Garde des consuls, le canon se tut, les musiques attaquèrent l’hymne des Marseillais et le général Bonaparte, montant un cheval de poil isabelle, s’avança au petit trot, à la rencontre du général Boudet et de l’état-major.
     
    Le Premier consul avait endossé son uniforme de général de division, habit de drap bleu national à deux rangs de boutons dorés, collet et parements écarlates, broderie de feuilles de chêne en fils d’or sur le collet, épaulettes à torsades d’or, culotte de daim et bottes à l’anglaise. Seul ornement de son chapeau à cornes de feutre noir : la cocarde tricolore. Plusieurs généraux, ceints de leur écharpe de commandement, qui, eux, portaient la grande tenue, avec chapeau à plumet et galons d’or, escortaient le Premier consul. Blaise de Fontsalte reconnut Berthier, Victor, Murat, Bessières, Marmont, Lannes, Saint-Cyr et leurs aides de camp.
     
    Les Veveysans, contenus derrière les troupes, partagés entre le silence respectueux et l’envie d’ovationner le guerrier, se hissaient sur la pointe des pieds, quand ils n’étaient pas montés sur des bancs, pour tenter d’apercevoir celui en qui tous les Suisses mettaient leur confiance depuis qu’il s’était écrié en 1797 : « Un peuple ne peut être sujet d’un autre peuple sans violer les principes du droit public et naturel. »
     
    Les pères portant leur enfant à califourchon sur les épaules, les femmes penchées aux fenêtres et aux balcons, les gamins audacieux, qui se faufilaient entre les rangs des soldats et que menaçaient du sabre les sergents, tous voulaient connaître le guide choisi par les Français pour conduire leur destinée, celui dont la plus haute ambition était, disait-on, de faire de l’Europe un ensemble de peuples libres, pacifiques et prospères. Ce mardi 13 mai 1800, symbole du premier printemps d’un siècle porteur d’espérances, resterait dans la mémoire de ces gens, réputés méfiants et peu démonstratifs.
     
    Blaise, ayant salué, sabre au clair, le passage du Premier consul, découvrit qu’il stationnait lui-même devant l’hôtel de Londres et pensa que M me  Métaz devait se trouver sur un des balcons. Il repéra sans peine la jeune femme vêtue de blanc et eut l’impression qu’elle l’avait, elle aussi, distingué. Comme Bonaparte s’éloignait pour passer sur le front des troupes, il fit pivoter Yorick, sous prétexte de se rapprocher du colonel Ribeyre. Ce mouvement l’amena face aux balcons de l’hôtel emplis, comme les loges d’un théâtre, de femmes élégantes et babillardes. Levant les yeux, il estima que son hôtesse l’emportait en grâce et en beauté sur toutes celles qui l’entouraient. M me  Métaz, pour bien marquer qu’elle appréciait que l’officier l’eût reconnue, adressa alors à Fontsalte un sourire et un geste de la main. Blaise, réfractaire aux minauderies féminines et qui, pyrrhonien courtois, ne demandait aux femmes que le délassement promis aux guerriers, crut percevoir dans cet échange de regards le signal fugace par lequel des êtres qui ne se sont jamais rencontrés se

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