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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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bourgeois comme devant. La Révolution française, accommodée à la sauce helvétique, n’avait entamé ni l’autorité, ni les fortunes, ni les habitudes des Vaudois nantis. Ayant payé le plus clair de l’imposition de 700 000 francs exigée au printemps 1798 par le général Brune et les libérateurs français, ils estimaient, de surcroît, avoir bien mérité de la patrie !
     
    Les Rudmeyer appartenaient à cette caste de bourgeois libéraux… mais propriétaires. Quand ils avaient laissé à leur fille unique, Charlotte, la pleine et entière jouissance, dès son mariage avec Guillaume Métaz, de Rive-Reine, leur maison de ville, ils avaient agi comme le prudent châtelain qui, tout en se montrant généreux avec son gendre, met la dot de son enfant à couvert des aléas de la vie conjugale.
     
    Rive-Reine était une grande bâtisse en pierre de taille, à deux étages, dont le plan au sol épousait la forme d’un U largement ouvert sur le lac par une terrasse. Côté ville, par la rue Saint-Sauveur, qu’emprunta le capitaine Fontsalte, on accédait à la maison par une cour pavée, ceinturée d’une grille de fer forgé aux torsades prétentieuses et exhaussée de piquets lancéolés et dorés. Cette clôture conférait à l’ensemble un aspect à la fois carcéral et cossu.
     
    Blaise franchit la grille, traversa la cour et s’immobilisa devant une porte en chêne ciré à double battant. Une poignée de cuivre, suspendue à une tige de fer, pendait au chambranle. Il la tira et entendit, assourdi par la distance, le tintement d’une cloche que son geste, par un jeu compliqué de bielles et de cordons, avait mise en branle quelque part dans la maison. Une bonne minute s’écoula avant que s’inscrive dans l’entre bâillement de la porte le plus joli visage de femme que l’officier ait vu depuis des semaines. Le regard, doux et bleu, où se mêlaient étrangement candeur et curiosité, la blancheur des dents, que découvrait un sourire, charmèrent le Français.
     
    – Capitaine Fontsalte. Je crois avoir le privilège d’être logé dans cette maison. Mon ordonnance doit être déjà arrivée, dit-il.
     
    La porte s’ouvrit largement, livrant aux regards de l’officier une jeune femme blonde et mince qui recula d’un pas pour le laisser entrer.
     
    – Bienvenue chez nous, capitaine. Je suis M me  Métaz.
     
    Blaise eut sans doute un mouvement involontaire des sourcils, traduisant son étonnement de voir une maîtresse de maison répondre elle-même au coup de cloche. M me  Métaz le remarqua, en même temps qu’elle découvrit que le visiteur n’avait pas les deux yeux de la même couleur. Cette anomalie retarda imperceptiblement sa réplique.
     
    – Notre Apolline, que nous appelons Polline, est bien vieille et un peu sourde, monsieur. Heureusement, j’ai entendu la clochette en passant, dit-elle, comme pour excuser sa présence.
     
    Blaise s’inclina, son colback sur l’avant-bras replié, évaluant, d’un regard dans le décolleté carré, frangé de dentelle, une gorge d’adolescente, petite, mais bien pommée.
     
    – Je vais vous conduire à votre chambre. Nous vous avons donné celle du bout de la maison. Vous aurez une jolie vue sur le lac et votre ordonnance, qui loge au-dessus de l’écurie, sera à portée de voix, dit la jeune femme.
     
    L’officier constata que M me  Métaz s’exprimait sans accent et il en déduisit qu’elle n’était pas vaudoise. Sur les talons de son hôtesse, appréciant le froufrou d’une jupe virevoltante sous l’effet d’une démarche vive et assurée, comme la finesse d’une taille qu’il eût aisément enserrée dans ses mains, Fontsalte parcourut un long vestibule carrelé, rendu glissant par les encaustiquages répétés. Il eut le temps de remarquer, sur une console, un biscuit représentant un pâtre chargé d’un agnelet, deux commodes ventrues en bois fruitier, quelques sièges rustiques à haut dossier et, sur les murs, plusieurs tableaux aussi sombres que les lambris d’appui. Les pièces ouvrant sur ce hall, qui traversait la maison d’une façade à l’autre, lui parurent plongées dans une pénombre sinistre. « Un véritable intérieur huguenot », se dit-il.
     
    Par une porte à double battant, réplique vitrée de l’entrée principale, ils débouchèrent sur une terrasse, au centre de laquelle tintinnabulait une fontaine. Quatre dauphins de pierre, dressés sur leur nageoire caudale,

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