Helvétie
de rester sous le feu des canons français, alors que sa famille allait s’abriter dans une autre résidence, avait en effet ordonné un cessez-le-feu. Toutes les buveuses de thé s’entendirent pour reconnaître que cette attitude était du dernier chevaleresque, de la part d’un chef de guerre. Quand Charlotte ajouta que l’empereur avait envoyé chercher, à Vienne, « par un officier de confiance », précisa-t-elle du ton d’une personne qui sait mais ne peut tout dire, le canari, le petit chien et la tapisserie inachevée que Marie- Louise avait dû abandonner en partant pour la France, ces dames gloussèrent d’admiration. Plus d’une estima que son mari, au temps des fiançailles, eût été incapable de pareille attention.
Flora connaissait, bien sûr, l’identité de « l’officier de confiance » qui avait mené à bien cette peu glorieuse mission. Blaise de Fontsalte, parti de Paris, alors que Marie-Louise venait de quitter Vienne, avait été de retour à Compiègne avec le canari, le chien et la tapisserie quatre jours avant que l’archiduchesse, épouse et impératrice par procuration depuis le 7 février, y arrivât le 27 mars ! Ce voyage, à bride abattue à travers la France, la Bavière et l’Autriche, avait valu au jeune général un grade de plus dans l’ordre de la Légion d’honneur : officier il avait été promu commandeur. Il avait aussi reçu « une écritoire, ornée d’une aigle d’or aux ailes éployées, avec encriers de cristal, offerte par l’empereur en personne ».
Bien qu’édulcorés et débités sous couvert d’anonymat, les propos de Charlotte avaient agacé Flora.
– Tu pourrais t’abstenir de répandre les ragots épistolaires de ton soudard pour briller devant des oies ! Tu mérites une décoration pour propager ainsi une image si niaise et si fausse d’un Napoléon sentimental et attendrissant ! Encore heureux que tu ne leur aies pas raconté que l’ogre libidineux avait lutiné l’Autrichienne dans le carrosse, entre Soissons et Compiègne, comme le rapporte Fontsalte avec une complaisance de libertin !
– Tu m’ennuies ! s’était contentée de répondre M me Métaz, bien consciente cependant d’avoir bavardé inconsidérément.
À l’occasion d’une réunion des dames de Vevey, désireuses de se cotiser pour offrir un nouveau drapeau à la Société des Arquebusiers de la ville, M lle Baldini eut sa revanche. Après que l’assemblée eut décidé de faire reproduire la première bannière offerte en 1803, la conversation vint sur un article de la Gazette , révélant qu’il y avait en Suisse plus de femmes que d’hommes, ce qui expliquait peut-être l’infidélité de certains maris ! Le journal citait le cas de Lucerne, où l’on comptait cent seize femmes pour cent hommes, et assurait qu’à Genève les naissances illégitimes devenaient si fréquentes que huit enfants sur cent étaient déclarés de père inconnu.
– Pas inconnu pour la mère, tout de même ! lança la femme du pasteur.
– Et c’est sans compter les enfants qui ne sont pas du père déclaré, du père ignorant son infortune, dit une dame.
– L’important pour tout le monde, y compris pour l’enfant, surtout pour l’enfant, c’est que personne ne se doute de rien, n’est-ce pas, dit perfidement Flora en regardant Charlotte.
– Oh ! ma chère, ces choses finissent toujours par se savoir. Les hommes sont si vantards et les femmes si imprudentes ! À l’occasion d’une querelle de ménage, on se jette l’enfant à la tête, et tout le quartier est au courant, expliqua la femme du pasteur.
Épouse et bru d’apothicaire, une dame d’œuvres prit le relais :
– C’est arrivé chez une domestique. Vous avez toutes connu Fanette, qui servait chez ma belle-mère. Eh bien, elle s’était fait faire un enfant par un militaire logé chez ses maîtres, un sous-officier de chasseurs. Cela se passait l’année où les Français se sont arrêtés à Vevey pour une revue, en 1800 ou 1801, je ne m’en souviens pas. Je devrais cependant m’en souvenir car ça nous a coûté assez cher, vu que les soldats nous ont aussi laissé des dettes ! Eh bien, un soir où Éloi, le mari de la Fanette, était rentré ivre, comme souvent, et qu’il voulait battre le petit, elle lui a dit tout à trac : « Laisse cet enfant, d’abord c’est pas toi qui l’as fait ! »
Il y eut des
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