Helvétie
de Beauharnais, vice-roi d’Italie, assisteraient à l’Exercice de la Navigation, grande fête nautique, le 12 août, à Genève. La nouvelle ne surprit pas Charlotte Métaz. Elle savait déjà tout de ce voyage par une lettre de Blaise, envoyée d’Aix-en-Savoie, où l’impératrice prenait les eaux depuis le 18 juin. Le général Fontsalte escortait, à distance, l’ex-impératrice. Officiellement chargé de veiller au confort et à la sécurité de l’altesse, il devait s’intéresser, pour le service des Affaires secrètes, aux relations de l’illustre curiste, car la ville d’eaux, mise à la mode en 1808 par Pauline Borghese, sœur de Napoléon, était devenue un véritable salon d’opposition à l’Empire.
Sous prétexte de cures et de mondanités, s’y retrouvaient d’anciens émigrés, pardonnés mais non ralliés, et des frondeurs de toute espèce. En ce mois de juin 1810, on signalait la présence de M. René de Chateaubriand dont le dernier ouvrage, paru l’année précédente, les Martyrs ou le Triomphe de la religion chrétienne , avait fortement indisposé l’empereur. Napoléon avait vu dans certaine évocation de l’Empire romain une critique applicable à celui qu’il avait fondé et cru déceler des allusions à l’internement arbitraire de Pie VII. Le fait que le cousin de René, Armand de Chateaubriand, représentant des princes qui avait débarqué clandestinement d’Angleterre, eût été pris et exécuté à Grenelle le 31 mars 1809, trois jours après la publication des Martyrs , ajoutait à l’aversion que l’auteur du Génie du christianisme et ses amis manifestaient à l’empereur. Certains n’hésitaient pas à lier les deux événements, depuis qu’ils savaient comment Napoléon avait méprisé et jeté au feu, en présence de Joséphine, la demande de grâce du condamné que l’ex-impératrice transmettait à l’empereur de la part du célèbre écrivain.
D’autres personnes, considérées comme antibonapartistes, se trouvaient à Aix-en-Savoie quand Joséphine y était arrivée, des membres de la coterie de Coppet notamment : Juliette Récamier, M me de Sales, M me de Boigne, M. de Montmorency et le séduisant comte Flahaut de La Billarderie, boute-en-train agréé de l’ex-impératrice. On savait aux Affaires secrètes que ce beau colonel de vingt-cinq ans, un temps amant de Caroline Murat, était, depuis peu, le consolateur de la reine Hortense, fille de Joséphine, dont l’époux, Louis Bonaparte, roi de Hollande, venait d’abdiquer et de fuir en Bohême, après s’être vigoureusement opposé à son illustre frère.
Joséphine voyageait incognito sous le nom de sa dame d’honneur, M me d’Arberg, et était accompagnée des femmes de sa maison, M me d’Oudenarde et M lle de Mackau, de son écuyer, le comte Fritz de Pourtalès, Suisse de Neuchâtel devenu français, de son chambellan, le comte Lancelot-Théodore Turpin de Crissé, artiste peintre.
Informée depuis deux semaines, par Blaise, de la visite de Joséphine à Genève, Charlotte Métaz n’attendait que la publication de l’événement pour dire à Guillaume son intention de se rendre, avec Élise Ruty et Flora, à l’Exercice de la Navigation. On emmènerait bien sûr les enfants, les jumelles Ruty, Axel, Blandine, et la dévouée Pernette, pour s’occuper des petits pendant que leurs mères assisteraient aux festivités et aux réceptions. Charlotte savait que, cette date tombant dans la période annuelle où le vignoble laissait un peu de répit à son mari, ce dernier voyagerait dans le Tessin pour ses affaires. Guillaume approuva le projet et échangea la grande voiture, laissée à la disposition des voyageuses, contre le cabriolet de sa femme.
Pour les enfants, la fête commença au départ de Vevey, quand le postillon des Métaz fit claquer son fouet et que le coupé gris traversa la Veveyse. Ce fut ensuite comme si Axel et les trois fillettes allaient à la découverte d’un lointain continent. Faire halte pour les repas dans des relais fleurant la friture, dormir à Nyon dans une auberge, à Genève dans un hôtel plein de voyageurs étrangers, se nourrir de mets nouveaux, déguster en promenade gâteaux et confiseries aux jolis noms : pains d’amour du pâtissier Giron, glaces moulées à l’orgeat de Croisier, sandwiches du traiteur Clavel, flâner au long des rues égayées de banderoles, de drapeaux, d’étendards aux
Weitere Kostenlose Bücher