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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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miroir. Et puis je ne faisais pas de grimaces, dit Axel, descendant de son tabouret.
     
    – Souviens-toi de l’histoire de Narcisse, que nous avons étudiée dans la mythologie grecque, il y a quelques semaines. Es-tu amoureux de ta propre image ? Veux-tu devenir fleur, comme le fils de Liriope et de Céphisse ? demanda Martin, sarcastique.
     
    Suivant son habitude, le garçonnet accepta la raillerie, sans manifester son sentiment, et revint à l’objet de sa préoccupation.
     
    – Je regardais mes yeux. C’est bien vrai qu’ils sont pas pareils et je voudrais savoir pourquoi. Ni maman ni papa ne savent le dire et marraine Flora explique que c’est parce que j’ai ouvert l’œil gauche avant l’œil droit. Celui qui a vu le ciel le premier est bleu, l’autre est marron, expliqua l’enfant, visiblement insatisfait.
     
    – Ne te pose pas autant de questions. Ton regard bicolore est le résultat d’un caprice de la nature, comme il y en a tant. Les savants, qui ne parlent pour le moment que d’un déséquilibre congénital de la répartition des pigments colorant l’œil, seront un jour capables de t’en dire plus. En tout cas, ce n’est pas une maladie, encore moins une tare et certainement pas une raison d’anxiété. Cela te distingue des autres garçons, c’est tout. Je t’ai déjà dit qu’Alexandre le Grand avait les yeux comme les tiens.
     
    – J’aimerais mieux être comme tout le monde, Martin. J’entendrais pas Nadine dire que mon œil bleu est pour elle et mon œil marron pour Nadette. Les filles sont bobettes !
     
    – On dit nigaudes en français, Axel.
     
    Ce jour-là, pour distraire son élève, dont il concevait soudain le trouble provoqué par l’anomalie de son regard, le précepteur obtint de Charlotte qu’elle prêtât son cabriolet pour une excursion au château de Chillon. L’homme et l’enfant prirent la route, pourvus par Polline d’un panier qui contenait de quoi pique-niquer agréablement.
     
    La journée fut pour Axel une véritable leçon d’histoire. Elle permit à Chantenoz d’instruire son élève en détaillant le riche passé de la forteresse des comtes de Savoie, transformée en prison depuis 1785. Le gardien, aimable ivrogne, étant un oncle des sœurs Baldini, Martin et Axel purent passer un long moment dans la cellule humide et sombre où François Bonivard, prieur de Genève et opposant à Charles III, duc de Savoie, avait été emprisonné de 1530 à 1536, jusqu’à ce que les Bernois prissent possession du pays de Vaud.
     
    Assis au pied du cinquième pilier à partir de l’entrée, là où Bonivard avait été enchaîné près de trois siècles plus tôt, Axel, les coudes sur les genoux et le menton dans les mains, écouta Chantenoz raconter la vie du prisonnier et exalter sa lutte pacifique pour la liberté de Genève. Parfois, l’apparition d’un gros rat pelé et visqueux, que le précepteur chassait d’un coup de pied, faisait sursauter l’enfant attentif et questionneur. Martin Chantenoz, pédagogue habile et passionné, s’émerveillait de la capacité d’attention et de l’imagination de son élève. Il savait stimuler cette dernière pour aider Axel à recons truire avec objectivité et réalisme le passé de leur pays. Pour l’amener à des interrogations qui relançaient la leçon.
     
    – Qu’est-il devenu, François Bonivard, en sortant d’ici ? demanda Axel en retrouvant la lumière et la chaleur de l’été sur le chemin de ronde du château qui domine le lac.
     
    – Il retourna au prieuré de Saint-Victor, à Genève, fut reçu comme un héros par ses compatriotes qui, à partir de 1542, le chargèrent de rédiger la chronique de la cité. Ce travail l’occupa jusqu’à sa mort, en 1570. Ce fut de bout en bout une belle, courageuse et utile existence que celle de Bonivard, conclut Chantenoz.
     
    Au lendemain de cette visite, Martin offrit à son élève, ravi, deux gravures. L’une représentait Bonivard nanti d’une barbe et de cheveux démesurés et enchaîné à son pilier, l’autre, coloriée, montrait le château de Chillon vu du lac.
     

    Ce même été, il fut donné au garçonnet d’entendre beaucoup parler par sa mère et les amies de celle-ci d’une des actrices, et non des moindres, de l’histoire contemporaine : l’impératrice répudiée, Joséphine, en visite sur les bords du Léman.
     
    Fin juillet, les journaux annoncèrent que Joséphine et son fils, le prince Eugène

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