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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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soir même, Guillaume, qui trouvait longue, bien que prévue, l’absence de sa femme, donna aisément son accord. Il convoqua aussitôt le maître Jacques de Rive-Reine, l’ancien bacouni Pierre Valeyres, premier batelier de la barque familiale, conducteur de branloire 2 , gérant des poudres explosives pour les carriers de Meillerie, palefrenier en chef, cocher, postillon et, à l’occasion, vétérinaire. Les consignes du patron furent d’atteler les deux meilleurs chevaux au coupé gris, d’aller au trot, sauf dans les montées, et de faire autant d’étapes « que M. le précepteur jugerait nécessaire afin de ne fatiguer ni bêtes ni gens ».
     
    Le voyage en attelage privé serait peut-être moins rapide, mais plus attrayant et plus confortable, que par la diligence empruntée par Charlotte.
     
    Une longue voiture à six chevaux, aimablement nommée Dame du lac, de la Compagnie des Postes et Diligences, reliait chaque semaine, par la grande route impériale n° 5, Paris à Milan via Genève et le col du Simplon. Mais la diligence entrait dans le Valais par la rive sud du Léman, si bien que les Vaudois devaient se rendre « au fond du lac », à Villeneuve, pour prendre place dans le véhicule. Par ce moyen, M me  Métaz était arrivée à Loèche-les-Bains en deux jours. Son mari l’avait fait transporter par une de ses barques jusqu’à Villeneuve et une voiture de l’établissement thermal de Loèche- les-Bains l’avait conduite de Loèche-le-Bourg, où les curistes quittaient la Dame du lac, jusqu’à la station, située à mille quatre cent onze mètres d’altitude, dans un vallon sauvage dominé par les sommets enneigés du Rinderhorn 3 et du Balmhorn 4 .
     
    Axel et Martin mirent trois jours pour effectuer le même trajet. Ils couchèrent le premier soir à Saint-Maurice, où le précepteur prit le temps de faire visiter à son élève l’abbaye construite au v e  siècle et qui portait le nom du capitaine thébain martyrisé en 302 par les soldats païens. Il lui montra la lance, l’anneau du légionnaire et la crosse en argent massif du duc Amédée de Savoie, dit le comte Vert, reliques que les chanoines du Grand-Saint-Bernard conservaient pieusement. Le lendemain, entre Saint-Maurice et Martigny, alors que la route longeait le Rhône, enfançon torrentueux, Chantenoz expliqua la création des vallées alpines par les grands plissements géologiques et présenta le fleuve.
     
    – Il prend sa source là-haut, à la Furka, dans un glacier du Saint-Gothard, à mille sept cent cinquante mètres d’altitude. C’est un vrai torrent qui s’assagit en descendant à travers ces vallées. Puis au Bouveret, près de Villeneuve, tu l’as vu, il se glisse dans notre lac, le traverse comme un bon nageur, en ressort à Genève tout réchauffé. Ensuite, il franchit le Jura, creuse des gorges, avale l’Ain au passage, épouse la Saône à Lyon et se dirige, majestueux, vers la Provence, en attirant à lui toutes les rivières. Tel un dieu fourbu par ses travaux et ses amours, il écarte soudain cent bras, se vautre au soleil à travers la Camargue et se noie, mol et indifférent, dans la Méditerranée.
     
    Ayant parcouru ce jour-là plus de dix lieues, les voyageurs firent étape à Sion, au bord de la Sionne. La tiède nuit d’été, l’air limpide, le ciel indigo piqueté d’or par les constellations, n’invitaient pas, malgré la fatigue, au prompt sommeil. Axel, qui aimait à se donner des frayeurs anodines, avait voulu voir la tour des sorciers, vestige de l’antique enceinte de la cité épiscopale, où l’on enfermait autrefois les hommes capables de se transformer en loups, les amazones grimaçantes qui volaient aux rendez-vous du diable sur des balais et les méchantes fées qui commandaient aux avalanches.
     
    La dernière étape offrit à l’enfant les paysages les plus impressionnants. Quand, après la traversée de Loèche-le-Bourg, le coupé s’engagea dans la vallée de la Dala, Pierre Valeyres mit les chevaux au pas tandis qu’Axel, soudain silencieux, regardait une cime puis l’autre et se souvenait des histoires d’avalanches racontées la veille par l’aubergiste de Sion. N’était-ce pas une sorcière éconduite par des bergers qui, le 17 janvier 1719, jour de la Saint-Antoine, avait provoqué l’ovaille 5 catastrophique dont tout le monde se souvenait ? Cinquante-trois villageois de Loèche avaient péri ce jour-là de la mort blanche, pâtres

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