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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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elle s’abandonnait à l’enlacement, se laissant presque porter par le gaillard. Une intuition vague et indéfinissable saisit soudain Martin. Au lieu de dépasser les promeneurs, il se ravisa, ralentit le pas et suivit à quelques mètres les silhouettes soudées. L’ombre couvrait le bourg et seules les médiocres lumières des salons et les lanternes des portiers mettaient un peu de clarté sur le perron de l’hôtel des Bains. Quand l’homme et la femme s’arrêtèrent au pied des marches, puis se firent face au moment de se séparer, Martin se trouva assez près pour reconnaître, se découpant en ombre chinoise sur le mur blanc, le profil de Charlotte. Il mordit si fort le tuyau de sa pipe que l’os se fendit, lui mettant dans la bouche une amertume écœurante. Stupéfait, il se retint de cracher le jus âcre et voulut se croire, un instant encore, trompé par une ressemblance que la pénombre pouvait augmenter, mais ce fut bien la voix de Charlotte qu’il perçut quand, le visage levé vers celui de l’homme, elle dit d’un ton aussi tendre qu’implorant : « Dépêche-toi de venir. Tu sais qu’il ne nous reste que deux nuits. »
     
    Figé par la surprise et la consternation, Chantenoz vit M me  Métaz gravir prestement les trois marches du perron et l’homme s’éloigner à grands pas de l’hôtel. Dès qu’il eut pris quelque avance, Martin, poussé par une curiosité hargneuse, suivit l’inconnu. Desservi par sa myopie, gêné par l’obscurité, il trébucha plusieurs fois et crut avoir perdu de vue l’étranger, jusqu’au moment où il le vit entrer à l’Auberge Blanche, le second établissement du pays. L’injonction doucereuse, quasi suppliante de Charlotte, « Dépêche-toi », donnait à penser qu’un rendez-vous était pris. Où ? Quand ? Adossé à un arbre, Chantenoz s’interrogeait, hésitant sur la conduite à tenir, quand la porte de l’auberge s’ouvrit à nouveau. L’homme reparut, vêtu d’un long manteau et portant une lanterne. Il prit aussitôt la direction de l’hôtel des Bains. Guidé par la lumière, le guetteur lui emboîta le pas et vit avec étonnement qu’il négligeait l’entrée de l’hôtel, contournait celui-ci et se dirigeait vers la terrasse surélevée, construite derrière le bâtiment, face à la montagne. Les meilleures chambres ouvraient par des portes-fenêtres sur un promontoire dallé où, aux belles heures de la journée, les curistes prenaient des consommations en plein air. L’homme, avant de gravir les marches d’accès à la terrasse, éteignit sa lanterne, puis, traversant en diagonale la plate-forme, frappa deux coups secs à l’une des portes-fenêtres. Celle-ci s’ouvrit aussitôt et la clarté intérieure de la chambre suffit à Martin pour avoir confirmation de ce qu’il savait déjà : l’étranger rejoignait Charlotte pour la nuit !
     
    Décontenancé, malheureux comme un époux trompé, il ne put retenir des larmes de rage. Un long moment, il demeura immobile, assis sur un muret, imaginant, amer, l’étreinte des amants à dix pas de lui, derrière une porte qu’il eût enfoncée avec rage pour jeter l’anathème biblique. Un chien errant vint flairer sa jambe, quémandant une caresse qui ne fut pas accordée. Cette présence eut cependant pour effet de rappeler Chantenoz à la réalité. Il sentit le froid de la nuit le gagner et reprit le chemin de l’auberge. Le portier ensommeillé lui fit observer qu’il était le dernier client à rentrer.
     
    – Réveillez-moi à l’aube… Je veux voir le lever du soleil sur le Balmhorn, demanda-t-il en glissant une pièce à l’employé.
     
    Axel dormait paisiblement quand Martin pénétra dans la chambre et se glissa sous la couette de son lit tout habillé, n’ayant retiré que ses chaussures. Trop de pensées tournoyaient dans sa tête pour qu’il pût s’abandonner au sommeil. Quel était cet homme à qui Charlotte se donnait comme une fille ? Et puis qu’importait l’homme ! Seul comptait l’acte.
     
    Les stations thermales passaient pour lieux propices aux amourettes, à la galanterie, au libertinage, à l’adultère. On disait que des femmes sensuelles ou frustrées y venaient, sous prétexte de cure, pour connaître des mâles, s’adonner aux plaisirs de l’amour, voire à la luxure. Les hommes étaient assurés d’y trouver, en toute impunité, parmi les bourgeoises esseulées, des maîtresses d’une nuit ou d’une semaine.

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