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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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pois gris lui devinrent familiers. Blanchod lui enseigna les saisons et travaux de la vigne. Axel commença par préparer les attaches pour échalas, il tressa des hottes et paniers, puis, comme il était assez robuste, il voulut, comme les journaliers, porter la terre à dos en haut des parchets. Il sut comment enlever, sur les chapons de l’année, les bourgeons du bas dès que les feuilles se développent, comment choisir deux rameaux espacés sur les chapons de deux ans et couper les faux jets qui sortent du pied d’un cep en force. Après avoir participé à la vendange, en octobre 1812, Axel but son premier verre de vin de Belle-Ombre. Le soir, il dansa le picoulet entre Nadette et Nadine Ruty, invitées, elles aussi, pour la première fois, à la fête des vendangeurs.
     
    Sur le lac où tout gamin de Vevey devait être aussi à l’aise que dans les vignes, Pierre Valeyres initia Axel à la manœuvre d’un naviot, lui apprit à ramer sans recevoir l’aviron dans la poitrine, à godiller debout à l’arrière du bateau, puis à naviguer à la voile sur la barque familiale. Les pêcheurs, qu’il accompagnait par beau temps, renseignèrent le fils Métaz sur les mœurs particulières du Léman. Il sut comment l’état du ciel modifiait la coloration des eaux, pourquoi certains jours on pouvait entendre au milieu du lac les voix des lavandières d’Ouchy et le tambour de Thonon ; il identifia les vents d’après les rides changeantes de l’onde, fit l’inventaire des brumes, brouillards et nuées traînantes. Il apprit à déceler les signes précurseurs des colères lacustres. Le garçon eut plus de mal à faire parler les bateliers de la magicienne qui suscitait, par forte chaleur ou par grand froid, des mirages troublants, mur liquide, reflet d’une cité imaginaire, agrandissement fantastique d’un paysage, nuées translucides et vibrantes. Chantenoz avait beau répéter qu’il s’agissait, d’après les savants, d’aberrations optiques dues à un phénomène de réfraction, quand l’air était plus froid ou plus chaud que le lac, aucun bacouni n’acceptait cette explication. Fata Morgana, la fée des Brouillards, était seule responsable de ces manifestations surnaturelles ! Qui pouvait dire qu’il n’existait pas, au plus profond du lac, une ville noyée, sorte d’Ys lémanique, dont le fantôme venait rappeler aux Vaudois la vanité de bâtir d’orgueilleuses cités ?
     
    Au hasard des navigations, entre Vevey et Meillerie, sur les grandes barques paternelles, foulques, canards, grèbes, martins-pêcheurs sortirent de l’anonymat des oiseaux aquatiques. Le dimanche, trempant un fil dans l’eau, Axel apprit des jumelles Ruty, depuis longtemps instruites par leur père, fin pêcheur, à faire la différence entre la perchette, la féra, la gravenche, l’omble, le chevesne. Ensemble, garçon et filles regrettaient que certaines des dix-neuf sortes de poissons recensés et dessinés au xvi e  siècle par Jean Du Villard, syndic de Genève 1 , aient disparu du Léman.
     
    Depuis la petite enfance, Axel se plaisait aux visites chez Tignasse, sœur de Flora. L’épicerie de La Tour-de-Peilz, à l’enseigne du Jardin des gourmandises, avait longtemps été, pour le bambin, un lieu magique, une caverne d’Ali Baba, tant il y avait à voir, à toucher, à sentir. On y venait de Vevey, des villages de la montagne, des bourgs de la côte, mais aussi de Montreux et même de Lausanne où, d’après les bourgeoises informées, on ne trouvait pas semblable assortiment de thés, de cafés, de sucre roux, blanc ou à la ficelle, de condiments raffinés, de bonbons acidulés importés d’Angleterre, de dragées moulées de France, de pain d’épice de Dijon, de madeleines de Commercy, de sirops et liqueurs douces pour dames. On y débitait, comme ailleurs, du jambon à l’os cuit au foin, de la viande séchée des Grisons et des pâtes italiennes, mais aussi des bâtons de réglisse que les enfants mordillaient en bavant à s’en jaunir le menton, des pastilles de menthe propres à faciliter les digestions laborieuses, des cornets de papier glacé nommés surprises, que les mères payaient au prix fort du mystère, afin d’offrir aux bambins des cadeaux cachés, babioles décevantes, assorties de friandises plâtreuses.
     
    À cinq ans, pendant que sa marraine ou Polline bavardait avec l’épicière, Axel tournait la manivelle du gros moulin à café, casqué de cuivre comme un

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