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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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incrédule, Axel. La mort, tout en nous la refuse, or elle finit par s’imposer parce qu’elle est l’inéluctable corollaire de la naissance. Naissance et mort sont les deux extrémités d’une corde plus ou moins longue, plus ou moins noueuse, plus ou moins solide, qu’on appelle vie. D’abord vient la mort des autres et un jour notre propre mort. La disparition de Mathilde a été pour toi une brusque déchirure dans le voile de bonheur égoïste qui te cache les laideurs des êtres et du monde.
     
    – Suis-je égoïste, Martin ?
     
    – Égoïstes, nous le sommes tous ici, à cause de ce que nous ne voulons pas voir. Il faut prendre conscience que nous avons la chance de vivre au pays de Vaud, dans un îlot de civilisation protégé. L’Europe est, depuis vingt ans, à feu et à sang. On se bat à Smolensk et sur la Moskova, Moscou brûle. On se bat autour de Madrid et en Andalousie, et, sur la mer, des vaisseaux se canonnent. Pendant que tu dors, que tu joues ou que tu étudies Homère avec, sous les yeux, un des plus beaux décors du monde, à tout moment, ailleurs, des gens s’entre-tuent, saignent, souffrent, meurent. Le temps de prononcer ces mots, la haine, les canons, la misère, les maladies ont tué des hommes, des femmes, des enfants comme toi. Même si notre pays de Vaud a connu des heures difficiles, quelques violences révolutionnaires, vite et sagement apaisées, dis-toi, répète-toi, que nous sommes en ce début de siècle des citoyens privilégiés. Nos vignes et nos pâtures sont des trésors, notre lac et nos montagnes, des dons inestimables de la nature ; nous sommes libres d’aller et de venir, d’apprendre, de prier le dieu en qui nous croyons ou de ne croire en aucun ; nos lois sont le plus souvent saines et justes ; nos lenteurs, dont l’étranger se moque, restent un luxe. Personne, sur ce rivage, ne meurt de faim et chacun sait que l’homme qu’il croise sur son chemin ne peut s’en prendre impunément à sa vie ou à ses biens. Et, privilégié, tu l’es encore plus que les autres, parce que né dans une bonne famille, assez riche pour que tu ne sois privé de rien. Et cela te paraît normal.
     
    – N’est-ce pas normal ? demanda Axel, étonné.
     
    – Cela te paraît normal parce que tu n’as pas connu l’adversité, comme il te paraissait normal que Mathilde vive jusqu’à ce qu’elle meure. Aucune existence humaine n’est exempte de drames, de déceptions, d’arrachements. La mort veille à nous le rappeler. Les hommes… et les femmes aussi parfois !
     
    Cette conversation conduisit Axel à prêter plus d’attention aux autres et aux événements. Ceux-ci eussent d’ailleurs sollicité son attention même sans la tirade en forme de mise en garde de Martin. On sut en effet, dès le commencement de l’hiver, que la campagne de Russie tournait au désastre pour la Grande Armée, en retraite sous la neige et par un froid intense.
     
    Quand, en janvier 1813, un journal de Fribourg publia le récit d’un Suisse rescapé de la campagne de Russie, Charlotte, sans nouvelles depuis plusieurs mois de Blaise de Fontsalte, se mit à prier chaque jour pour son amant.
     
    L’officier fribourgeois, dont on rapportait les souvenirs, avait appartenu à la 9 e  division du 2 e  corps d’armée, composé de quatre régiments suisses, de deux bataillons recrutés dans le Valais et à Neuchâtel, ainsi que du 35 e  de ligne de Genève. Ces troupes, commandées par le général Auguste-Daniel Belliard, aide de camp de Murat, étaient aux ordres du maréchal Oudinot. Elles avaient franchi le Niemen le 24 juin 1812, avec la Grande Armée, et s’étaient illustrées dès le commencement et jusqu’aux portes de Saint-Pétersbourg. Quand sonna la retraite, par un froid de vingt-cinq degrés sous zéro, le 4 e  régiment suisse, commandé par le colonel Charles d’Affry, qui protégeait les arrières de l’armée, dut soutenir seul l’assaut russe, pendant que les bataillons traversaient la Duna sur des ponts de fortune. Quatre cents Suisses, dont vingt-quatre officiers, trouvèrent la mort ce jour-là. Les félicitations de l’empereur et une moisson de croix de la Légion d’honneur, glanées sur le champ de bataille, devaient être vite oubliées tant était grand le dénuement des hommes, contraints de manger des chevaux morts de froid et de la bougie !
     
    Les Suisses, emportés par l’inévitable reflux, reçurent le 26 novembre l’ordre de

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