Helvétie
fait la droite. C’est non seulement un principe, mais une sauvegarde ! Alors, ne craignez rien.
L’évocation des enfants de Charlotte, de Blandine surtout, incita Blaise à penser à sa propre fille. Les dernières nouvelles reçues du Forez n’étaient guère édifiantes. Adrienne, qui venait d’avoir dix-sept ans, avait quitté, au prix d’un subterfuge, le pensionnat de Montbrison, avec une de ses amies et le père de cette dernière. Cet homme de bonne apparence était venu chercher une élève qui se disait sa fille pour l’emmener à Paris. Adrienne, dont la conduite avait toujours laissé à désirer – les religieuses ne comptaient plus ses escapades et ses méfaits –, avait profité de l’occasion. Elle avait raconté, pour s’échapper, une grosse fable à la mère supérieure. D’après cette enfant de gitane, d’une beauté sauvage, M. de Fontsalte la réclamait et le père de son amie avait reçu mission par le général de la conduire à Paris, avec sa propre fille. L’homme, inconnu de Blaise, avait confirmé ce dire et les deux jeunes filles étaient montées dans la diligence, en faisant des pieds de nez aux naïves religieuses.
Depuis deux mois M me de Fontsalte n’avait aucune nouvelle d’Adrienne et personne ne savait où la chercher. Les religieuses montbrisonnaises paraissaient d’autant plus inquiètes qu’une enquête avait établi que l’homme mûr, qui s’était fait passer pour père de l’autre pensionnaire, était en fait l’amant de celle-ci.
La marquise de Fontsalte exprimait dans sa lettre plus de colère que de peine. Cette petite-fille tombée d’une roulotte lui était indifférente. En la faisant instruire et éduquer, elle n’accomplissait qu’un devoir, comme le jour où elle avait exigé de Blaise qu’il donnât son nom à l’enfant. Le général s’était contenté de répondre à la douairière qui l’informait de cette fugue : « Adrienne est sans doute aussi folle que sa mère. Elle doit avoir, comme elle, le feu sous ses jupes. Qu’elle aille au diable. » Le général n’avait pas la fibre paternelle !
L’année 1814, fertile en événements internationaux, en drames, en dangers, en inquiétudes, s’acheva pour les Vaudois dans un climat serein, sur la promesse d’une ère nouvelle de paix et de prospérité.
Le 19 décembre, Guillaume Métaz confirma la notoriété qu’on lui reconnaissait déjà lors de la première assemblée générale des souscripteurs de la Caisse d’épargne de Vevey. Le fait que ce fût la première institution du genre dans le canton de Vaud mit en vedette les fondateurs, dont Guillaume faisait partie. Il avait su, en peu de temps, convaincre ses concitoyens de participer à la création d’un fonds de réserve d’au moins mille cinq cents francs.
Le 1 er janvier 1815, s’étant rendu au Jardin des gourmandises pour présenter ses vœux à Tignasse, Axel reçut de l’épicière, comme chaque année, un petit cadeau en plus de la grosse boîte de bonbons acidulés qu’elle offrait toujours. Cette année-là, faisant glisser le ruban qui fermait le paquet et dépliant avec soin le papier glacé, il découvrit un superbe soldat de plomb. C’était un cavalier, un hussard peut-être, dont l’uniforme, parfaitement reproduit, dolman vert, culotte blanche, colback à plumet, bottes vernissées, sabre au clair, était du plus bel effet. Le cheval gris pommelé piaffait, prêt à prendre son élan pour une charge glorieuse. Le cavalier aux manches surchargées d’arabesques d’or devait être au moins colonel. Le peintre l’avait doté de favoris et d’une grosse moustache.
Axel remercia et donna un baiser supplémentaire à Tignasse.
– Il est vraiment très beau ! C’est presque une œuvre d’art. Je le mettrai sur ma cheminée. Mais quelle est son arme… et son régiment ?… J’aimerais savoir…
– Tu demanderas à ta mère. Peut-être saura-t-elle te répondre, dit l’épicière d’un ton sibyllin.
En rentrant à Rive-Reine, Axel se rendit directement au salon où, depuis le matin, M. et M me Métaz accueillaient amis et connaissances qui venaient présenter des vœux. S’y trouvaient avec les familiers, retenus pour le repas de Nouvel An, des gens qu’Axel ne connaissait que de vue. Il mit néanmoins en circulation la boîte de bonbons de Tignasse et, comme Guillaume demandait à son fils ce que contenait le paquet qu’il
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