Helvétie
française. Le 4 août 1814, le canton de Vaud se vit donc forcé d’adopter une nouvelle Constitution réactionnaire qui favorisait les grands propriétaires fonciers par l’augmentation du cens électoral, ignorait la séparation des pouvoirs, faisait la part belle à l’exécutif par rapport au législatif, garantissait une sorte d’inamovibilité aux fonctionnaires, supprimait la liberté de la presse et interdisait toute information sur les débats du Grand Conseil !
Martin Chantenoz vit dans le choix de cette date du 4 août une volonté délibérée des zélateurs de l’Ancien Régime de célébrer, de façon narquoise, le vingt-cinquième anniversaire de l’abolition des privilèges par l’Assemblée constituante française de 1789 en amorçant le rétablissement, en Suisse, de certains d’entre eux ! Mais, une fois encore, les Vaudois se montrèrent courageux et avisés défenseurs des libertés publiques. Malgré une loi électorale faite sur mesure pour faciliter le retour au pouvoir du parti dit aristocratique, les électeurs confirmèrent massivement dans leurs fonctions les patriotes qui avaient maintenu l’indépendance du canton. Henri Monod, Jules Muret, Auguste Pidou, Louis Secrétan et François Clavel furent invités à poursuivre leur œuvre. Une fois de plus, les nostalgiques de l’Ancien Régime et Leurs Excellences de Berne furent désavoués, sans cris ni violence mais avec l’arme des républicains : le bulletin de vote.
Le cercle des Métaz célébra joyeusement cette confirmation des libertés cantonales, que tous voulaient croire décisive. Les Vaudois se montraient d’autant plus confiants que Genève allait être officiellement rattachée à la Confédération. Depuis le 1 er juin, jour fameux où les troupes suisses, deux compagnies fribourgeoises et une soleuroise, arrivant par le lac, avaient débarqué devant Cologny, sous les acclamations de la population, aux cris de « Vive les Suisses ! Vive Genève ! Vive la République ! et Vive le nouveau canton ! » l’agrégation de la grande ville à la Confédération paraissait acquise. Le 24 août, les Genevois, comme les Vaudois, adoptèrent à une forte majorité une nouvelle Constitution 6 que certains jugeaient un peu rétrograde. Mais il importait alors de ne pas effaroucher, par un républicanisme trop ardent, les représentants des cantons, membres de la Diète fédérale, appelés à décider en dernier ressort du rattachement de Genève à la Confédération helvétique. Cet événement tant attendu eut lieu le 12 septembre 1814, « les Suisses ayant été conquis par Genève ». Ce même jour, la Confédération s’agrandit de deux autres cantons : le Valais et Neuchâtel.
Il n’était pas dans le caractère de M me Métaz de participer aux réjouissances politiques et son bonheur du moment était d’une autre essence. La chute de l’Empire et la déportation de Napoléon lui valaient d’avoir son amant à demeure, ce qui l’obligeait à organiser sa vie en conséquence. Comme Guillaume, de plus en plus sollicité par ses affaires, voyageait plusieurs jours chaque mois, elle pouvait voir souvent M. de Fontsalte. Entre deux missions mystérieuses en France, où il courait chaque fois le risque d’être reconnu et arrêté comme d’autres généraux d’empire, Blaise résidait à Ouchy. Occuper en permanence le moulin sur la Vuachère eût fini par attirer l’attention et compromettre Dorette.
Le général, toujours vêtu en bourgeois, avait donc loué une maison de pêcheur, où il habitait avec Jean Trévotte. Il se disait géographe, venu pour étudier les courants et seiches du Léman. Cette profession supposée lui permettait de naviguer sur le lac à toute heure du jour et de la nuit, sans que personne pût s’en étonner. Il disposait pour ses « observations scientifiques » d’une barque rapide à voile unique, dans laquelle on voyait un valet à jambe de bois charger de bizarres instruments. Le bateau, nommé Yorick en souvenir de l’alezan de Blaise, mort en Russie, servait souvent à transporter, de Savoie au pays de Vaud, quelque bonapartiste en quête d’un refuge ou conduire à Villeneuve des émissaires qui, par le Grand-Saint-Bernard ou d’autres passages alpins, s’en allaient jusqu’à Gênes. De là, des marins capables de quitter ou de toucher l’île d’Elbe sans éveiller la méfiance des frégates anglaises conduisaient ces
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