Helvétie
prêts à aider : le maréchal Ney, le général Hulin et le célèbre peintre Jacques-Louis David, déjà arrivé à Yverdon.
M me Métaz écoutait en silence ces considérations. Blaise de Fontsalte n’avait pas donné de nouvelles depuis le printemps, quand il croyait encore à la survie de l’Empire. Peut-être s’était-il embarqué avec le roi Joseph pour l’Amérique. Savoir cela eût rassuré Charlotte, car les échos des représailles infligées par les royalistes aux bonapartistes attisaient son inquiétude. À Paris, le général La Bédoyère, un ami de Blaise et de Ribeyre, avait été fusillé ; à Avignon, des fanatiques avaient assassiné le maréchal Brune et jeté son corps dans le Rhône ; à Nîmes, les monarchistes catholiques exaltés, se proclamant Chevaliers de la Foi, s’en étaient pris aux femmes protestantes, fouettées à mort avec des battoirs hérissés de clous ; dans toutes les villes, la chasse aux fidèles de l’empereur exilé était conduite par des bandes de pillards sanguinaires. Blanchod estimait ces exactions inévitables, après tant de malheurs infligés par les guerres de l’Empire, mais, incorrigible optimiste, il voyait une espérance nouvelle dans le fait que l’abbé Grégoire préconisât, dans une brochure, des réunions annuelles de savants et d’artistes à Francfort « pour faire l’Europe ».
Dans cette ambiance, le retard du déniaisé passa inaperçu.
Pendant des semaines, Axel et Rosine, que le garçon ne supportait plus d’entendre appeler Tignasse, pratiquèrent, avec une ardeur qui laissait la jeune femme ravie et épuisée, tous les jeux de l’amour. Après ces joutes, il arrivait que le garçon s’endormît sur la poitrine de l’épicière qui, à regret, devait le réveiller pour le renvoyer chez ses parents. Axel, que son père ne pouvait habituellement convaincre d’éteindre sa chandelle tant il passait d’heures à lire dans son lit, soufflait maintenant la lumière sans y être, comme autrefois, plusieurs fois invité. Il somnolait pendant les leçons de Chantenoz qui, plus attentif que les Métaz, finit par remarquer des cernes bistre sous les yeux de son élève. Il s’inquiéta, imaginant des pratiques solitaires, banales certes, mais considérées comme préjudiciables à la santé et au développement intellectuel, même par ceux qui ne prenaient pas au sérieux les épouvantables conséquences de la masturbation décrites par le docteur Tissot. Martin finit par s’en ouvrir à Axel, avec la franchise qui, depuis toujours, caractérisait leurs rapports.
– Dis-moi, mon garçon, ne prends pas en mauvaise part la question que je vais te poser… entre hommes.
Chantenoz s’éclaircit la voix, ôta ses lunettes et se mit à polir les verres avant de poursuivre :
» Voilà… Je trouve que tu n’as pas bonne mine ces temps-ci, ton attention se relâche, on dirait que tu ne t’intéresses plus autant à l’étude. Tu fais des fautes dans tes versions et tes dissertations, que tu ne faisais pas il y a encore quelques semaines. Que se passe-t-il ? Tu es fatigué ? Tu dors mal ? Tu as des soucis cachés ?
– Non. Tout va bien, je vous assure, Martin.
– Allons, allons, je vois ces cernes-là sous tes yeux, ils disent que tu es fatigué, ou malheureux, ou les deux à la fois, ou encore…
– Ou encore ?
– Ou encore que tu pratiques ce que les anciens appelaient l’onanisme et que nous nommons masturbation ! Hein, me trompé-je ?
Axel sourit et posa une main sur l’avant-bras de son mentor.
– Je sais que des garçons se livrent à une telle pratique contre laquelle le pasteur nous met en garde. Il dit que ça peut rendre sourd, idiot ou poitrinaire ! Non, ce n’est pas mon cas, rassurez-vous. Parce que je n’ai pas de secret pour vous, à vous, je peux bien le dire, j’ai une maîtresse et…
– Tu as toujours été précoce… mais je ne pensais pas que dans ce domaine aussi…
– C’est un secret, un vrai secret, n’est-ce pas ?
– Cela va de soi. Prends garde à ne pas trop user d’un plaisir qui te fait pareille mine. D’autres que moi pourraient s’en apercevoir et poser des questions, voire te surveiller. Alors, hein, prudence. Si la dame qui t’honore de ses faveurs est une amoureuse honnête, si elle est de notre ville, prends garde aux commères… et aussi aux maris jaloux. En général, on pardonne
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