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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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grande et bien faite, paraissait heureusement moins apprêtée que Mrs. Siddons peinte par Gainsborough en Muse de la Tragédie ! Lady Elizabeth, Liza pour ses intimes, pouvait être fière – et elle l’était – de la finesse exceptionnelle de sa taille, qui mettait exagérément en valeur les rondeurs fermes d’un buste de Junon inattendu, presque disproportionné, chez cette Anglaise svelte. Le visage d’un ovale parfait, des traits bien équilibrés, un nez très droit, que les Français trouvaient un peu long, un sourire à usage mondain désignaient la femme racée, possédant, avec l’assurance que donne la fortune, l’absolue maîtrise des manières du monde et un sens inné de la mesure. Sous l’arc net des sourcils à peine retouchés, le regard, sombre et velouté, eût traduit incuriosité et nonchalance sans le friselis de cils démesurés qui fit dire à l’hôtelier : « Je n’ai jamais vu des yeux plus aptes à exprimer aussi bien les feux et les langueurs de l’amour que l’arrogance absolue. »
     
    Janet, la fille, avait le charme de la beauté neuve et timide. On pouvait penser, en considérant ce fruit frais du verger aristocratique d’Albion, que le destin avait accordé à miss Janet des faveurs insignes, la laissant grandir à l’abri des incertitudes vulgaires, lui épargnant non seulement les avanies accidentelles mais les simples désagréments, lot quotidien des gens ordinaires.
     
    Si la nature avait privé Janet du regard fascinant de sa mère, elle lui avait fait don, en revanche, de pupilles mordorées et du regard rieur de son père. Comme lui blonde et frisée, comme lui expansive et frivole, elle pouvait soudain s’enfermer sans raison apparente dans l’apathie mélancolique des dépressives. Le charme qui émanait de la personne de sir Christopher, admis et reconnu par the nobility and gentry 1 – plus spécialement par les dames, encore que certains hommes n’y fussent pas insensibles – avait été fort utile au baronet dans des circonstances ignorées de sa fille. Le même charme chez Janet, dont on avait fêté le quinzième anniversaire sur le bateau, entre Douvres et Calais, restait encore un potentiel inemployé, passif, une sorte de réserve de courant lumineux, comme celui contenu dans la pile électrique inventée par M. Alessandro Volta, qui venait de se retirer, fortune faite, à Côme, sa ville natale.
     
    On s’interrogea beaucoup sur la présence à Vevey de ces deux femmes élégantes, jusqu’au jour où, la période probatoire imposée aux étrangers par la méfiance vaudoise étant écoulée, elles furent invitées à prendre le thé par l’épouse du syndic, en compagnie de la femme du pasteur, de M mes  Ruty, Métaz et autres animatrices ornementales des manifestations mondaines, charitables ou civiques. Lady Elizabeth, cet après-midi-là, satisfit spontanément la curiosité qu’elle savait latente chez les dames de la bourgeoisie veveysanne. Elle s’exprima en français avec, enjolivant certains mots, une pointe d’accent britannique.
     
    – Je suis une parente, éloignée par le sang mais proche par le cœur, d’une gracieuse personne, hélas défunte, lady Margaret Gordon, quatrième fille du comte d’Aboyne, épouse de lord William Beckford. Elle est morte il y a trente ans, le 26 mai 1786, tout près d’ici, au château de La Tour-de-Peilz, après avoir mis au monde, le 14 mai, sa seconde fille, Susan Euphemia. Elle fut emportée par une fièvre puerpérale que le docteur Frédéric Scholl, de Lausanne, médecin et ami de lord Beckford, ne put juguler. Quelques habitants de La Tour-de-Peilz gardent peut-être le souvenir de ma pauvre cousine, qui laissa deux orphelines, l’enfant dont la naissance lui coûta la vie et la sœur aînée de celle-ci, Maria Margaret Elizabeth, âgée de treize mois au moment de la disparition de sa mère.
     
    Cette déclaration suscita dans l’assemblée des exclamations apitoyées et éveilla quelques souvenirs précis. Charlotte Métaz, plus que toutes les femmes présentes, parut intéressée, car les papoteuses de la rue de Bourg avaient souvent évoqué, dans le salon de sa défunte tante, Mathilde Rudmeyer, la personnalité de l’étrange et inaccessible M. Beckford.
     
    – Je me souviens que le major de Blonay avait loué, vers 1785, son château à des nobles anglais très fortunés, mais j’avais douze ans à l’époque et ne m’intéressais pas beaucoup à ce qui

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