Helvétie

Tignasse et toi, à faire face à une vraie furie moralisante. Elle vous aurait trempés dans l’eau bénite pour purifier votre chair pécheresse ! Je vois ça d’ici !
     
    – C’est pas bien, qu’elle soit partie sans me prévenir ! Vous ne trouvez pas ça cruel, Martin ? Sûr qu’elle ne m’aimait pas comme elle me le disait ! Et moi, je croyais… Je suis malheureux, Martin.
     
    Mentor affectueux, Chantenoz considéra un instant ce bel enfant, dont il recueillait la première désillusion. Les larmes retenues diluaient le regard bicolore d’Axel. Il l’envia d’avoir ainsi appris l’amour d’une femme sage. Puis il cita Pindare :
     
    –  Aux yeux des étrangers sachons cacher nos peines.
    Écoute : notre part de plaisirs et de biens,
    Nous devons la montrer aux regards de chacun,
    Mais s’il te vient des dieux le dur malheur humain,
    C’est dans l’ombre caché qu’il faut que tu te tiennes 10 .
     
    Un vol de canards décolla du lac et ponctua de ses battements d’ailes la fin du poème.
     
    – Eux aussi s’en vont, dit Axel Métaz.
     
    1 Augustin-Pyrame de Candolle (1778-1841), célèbre botaniste, élève de Cuvier et de Lamarck, dont il refondit et enrichit la troisième édition de la Flore française . Professeur à la faculté de médecine de Montpellier, il fut nommé recteur pendant les Cent-Jours et devint ainsi suspect sous la Restauration. Il s’exila un temps en Angleterre puis vint, en 1816, habiter Genève où fut créée pour lui une chaire d’histoire naturelle. Son influence fut considérable sur le développement des études botaniques et c’est grâce à son enseignement, à ses travaux et publications, que Genève dut de devenir, dès 1820, la ville phare des botanistes du monde entier.
     
    2 Genève et les Suisses , Louis Binz et Alfred Berchtold, éditeur État de Genève, département de l’Instruction publique, économat cantonal, mai 1991.
     
    3 Lettre de l’empereur à Joseph, datée de Reims, le 16 mars 1814.
     
    4 Lettre de la grande-duchesse Catherine de Wurtemberg adressée de Schaffhouse à M lle  Jeanne Huc-Mazelet, à Tolochenaz, en décembre 1813. La grande-duchesse rapporte à l’ancienne gouvernante des sœurs d’Alexandre I er un propos que le tsar lui a demandé de répandre. Archives de M e Claude Reymond. Cité dans Encyclopédie illustrée du pays de Vaud, éditions 24-Heures, Lausanne, 12 volumes, 1970-1987.
     
    5 Joseph Bonaparte devait acheter les terres voisines, dont une partie de la presqu’île de Promenthouse, où, plus tard, deux fils de Jérôme Bonaparte, le prince Napoléon, comte de Montfort, et le prince Jérôme Napoléon, construisirent plusieurs villas.
     
    6 Sur 2 758 votants, 2 444 approuvèrent la Constitution, 314 votèrent contre le texte.
     
    7 Cité par Hector Fleischmann, le Roi Joseph Bonaparte. Lettres d’exil inédites , librairie Charpentier et Fasquelle, Paris, 1912.
     
    8 Cette Sicilienne, martyrisée en 251 pour s’être refusée à Quintien, gouverneur de Catane, eut les seins coupés avant d’être jetée sur des charbons ardents. D’après la légende, son supplice provoqua un tremblement de terre. Les Italiens disent d’une femme plate qu’elle est une sainte Agathe. Vierge et martyre, Agathe, malgré son horrible mutilation, est vénérée comme patronne des nourrices !
     
    9 Abel Hermant, Platon , Bernard Grasset, Paris, 1925.
     
    10 Fragments d’hymnes , traduction de Robert Brasillach, Anthologie de la poésie grecque , Stock, Paris, 1950.
     

6.
     
    Dès que les Anglais eurent confirmation, par les journaux de Londres, de l’arrivée de Napoléon à Sainte-Hélène, île lointaine d’où le diable ne sortirait plus, les gens de la bonne société, comme les négociants, s’empressèrent de passer la Manche pour voyager en Europe. C’est ainsi qu’au printemps 1816 on vit à Vevey une dame anglaise, accompagnée de sa fille.
     
    Lady Elizabeth Moore et Janet descendirent à l’auberge des Trois-Couronnes et annoncèrent leur intention d’y séjourner longtemps.
     
    Les deux femmes offraient des types de beauté différents mais l’un et l’autre remarquables. La mère venait à peine de passer le cap de la trentaine et faisait spontanément penser aux belles portraiturées par les artistes de cour sous George III : maintien altier, traits nobles et réguliers, carnation lumineuse.
     
    Elizabeth, née Selwyn, épouse de sir Christopher Moore, brune,