Helvétie
l’adultère, mais pas le scandale de sa révélation. Prudence donc… en toute chose !
Axel promit d’être prudent, de ne pas mettre en péril la réputation de celle qui avait été son initiatrice « non par vice mais parce qu’elle souffrait d’une vraie solitude du cœur et des sens », crut-il bon de préciser. Il promit aussi de tenter de contenir sa passion, afin de ne plus s’endormir sur ses cahiers.
– Puisque nous pouvons désormais, entre nous, parler librement de l’amour qui tient une place dans nos vies, souviens-toi que Platon veut que l’on garde la maîtrise de ses désirs. Qu’on ne leur cède qu’à un rythme « honnête », c’est-à-dire raisonnable, c’est-à-dire suivant une périodicité que l’on juge adaptée à sa propre nature. Platon ne condamne pas la passion, il dit même que c’est un bienfait des dieux, mais il conseille d’en bien choisir l’objet et, si j’ose dire…, d’en régler l’exploitation !
Axel fut reconnaissant à son maître d’en rester là et de ne pas poser de questions, auxquelles il n’aurait pu répondre. Chantenoz était l’être au monde en qui il avait le plus confiance et Rosine celui qui lui inspirait le plus d’amour. Il était comblé et la sagesse de Platon, dont il avait appris la verdeur, l’éclectisme sexuel et les bonnes fortunes, lui paraissait une suffisante assurance sous l’œil des dieux. Le philosophe, dont personne n’était sûr qu’il eût observé la modération qu’il prônait, était mort à quatre-vingt-un ans. Chiffre significatif, d’après Chantenoz, puisque carré de neuf, qui est le nombre des Muses 9 !
Un matin d’octobre, Axel, sous prétexte d’aller jusqu’à l’Ognonaz, rivière qui séparait Vevey de La Tour-de-Peilz, pour chercher des vers, en prévision d’une partie de pêche, se préparait à rendre visite à Tignasse. Il fut étonné de découvrir dans l’épicerie une jeune fille inconnue.
– Rosi… M me Mandoz n’est pas là aujourd’hui ? s’enquit-il prudemment, faisant effort pour prendre un ton indifférent.
– Non, elle n’est pas là…, mais n’êtes-vous pas le fils Métaz ?
– Si, mademoiselle.
– Tignasse a laissé ça pour vous, dit la fille en tendant à Axel un petit sachet de papier.
Comme il prenait le paquet, la fille ajouta :
– Elle m’a dit, avant de partir, de vous le remettre en main propre, que vous viendriez certainement chercher du thé pour votre maman. Je l’ai d’ailleurs préparé.
– Ah ! oui, bien sûr… Mais… où est-elle partie, s’il vous plaît ?
– À Rome, mon garçon, pour rejoindre son mari qui est retourné là-bas avec le pape. Il est devenu officier et peut maintenant avoir sa femme avec lui. C’est mieux pour elle.
– Oui…, c’est mieux, balbutia Axel, abasourdi.
Comme il s’apprêtait à quitter le Jardin des gourmandises, enseigne qui avait pris, depuis quelques mois, une signification particulière dont il avait ri bien des fois avec Rosine, la fille le rappela :
– Eh ! vous oubliez le thé de votre maman !
Ivre d’un chagrin subit, Axel marcha jusqu’à la berge, s’assit sur les galets et là, face au lac, se mit à pleurer. Quand il eut le courage de reprendre le chemin de Rive-Reine, il ouvrit le sachet que lui avait remis la fille. Celui-ci contenait un sucre d’orge qu’il se promit de conserver à jamais. Pour la première fois de sa vie, Axel Métaz pouvait se dire malheureux.
Chantenoz ne fut pas étonné, ce jour-là, de voir son élève triste. Il savait par Flora que Tignasse allait quitter définitivement La Tour-de-Peilz, pour rejoindre son mari. Quand Axel apparut, pâle et défait, dans la salle d’étude, il lui proposa tout de suite un tour en barque.
– Nous réviserons aussi bien sur le lac qu’enfermés ici. L’hiver sera bientôt là, profitons des derniers beaux jours, dit-il.
Dès qu’ils se furent éloignés de la rive, en ramant avec application, Martin leva les avirons et les laissa glisser au fil de l’eau :
– Alors, elle est partie !
– Comment… Vous saviez que c’était Rosine ma…
– Il y a longtemps que je sais, Axel. Ce n’était pas difficile à deviner. Et tu as eu de la chance que personne ne se doute de cette aventure.
– Mais Flora… elle sait ?
– Non, et c’est heureux, car vous auriez eu,
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