Helvétie
communiqué un document rassurant, qui prouvait que la municipalité de la ville avait accepté, dès 1786, la responsabilité d’une pieuse conservation. Le papier fut montré à l’assemblée et la femme du syndic en donna lecture d’un ton grave, qu’elle jugea adapté à la circonstance :
– « En Conseil extraordinaire, le 28 mai, M. le Syndic expose que M. le Major de Blonay l’a chargé de prier ce Noble Corps, de la part de M. Beckford, de permettre d’ensevelir en notre temple les entrailles de Milady sa chère épouse, décédée le 26 courant au château en cette ville, son corps devant être embaumé pour être conduit à Londres, y être inhumé dans la tombe de sa noble famille. Ce que par décision unanime lui a été accordé 2 . »
» Cette pièce, ajouta la lectrice, porte plusieurs signatures, dont celles du doyen Muret, que nous avons toutes connu, et du major de Blonay.
Quand les dames eurent pris congé de lady Elizabeth et de sa fille, après avoir proposé à l’Anglaise toute l’aide qu’elles pourraient souhaiter pendant leur séjour à Vevey, Charlotte offrit d’inviter un jour Janet à faire, avec d’autres jeunes filles, une promenade sur le lac, à bord de la barque des Métaz. Cette proposition parut tirer la jeune Anglaise de son apathie.
– Mère me le permettra certainement et je serai ravie de naviguer sur votre lac : il est si dramatiquement romantique ! dit-elle, avec un charmant accent qui rendait mélodieux son français.
De retour à Rive-Reine, Charlotte Métaz fit sortir et mettre en place les meubles de jardin. Bien que le printemps fût pluvieux, frileux et peu riant cette année-là, l’air devenait par moments assez doux pour autoriser les flâneries sur la terrasse, près du bassin aux dauphins qui crachaient leur eau en jets courbes. Assise face au lac et enveloppée dans un châle, Charlotte goûtait l’amer plaisir de méditer sur le sort de la seule personne qui l’intéressât vraiment : elle-même.
La rencontre avec Mrs. Moore avait aggravé chez elle la mélancolie et la torpeur qui l’accablaient depuis des mois.
« Je me fane », avait-elle gémi un soir devant Flora, toujours aussi vive et remuante.
Les dénégations de l’amie ne pouvaient combattre l’impartialité des miroirs ni tromper le mètre de la couturière ! La belle M me Métaz prenait de l’embonpoint, de la poitrine ; sa taille, longtemps fine, épaississait ; il lui venait un supplément de menton, alors que, en dépit de soins quotidiens, la peau de son visage se plissait en ridules malignes autour des yeux et de la bouche. Malgré une blondeur entretenue par la méthode vénitienne, elle trouvait sur sa brosse plus de cheveux blancs que de fils dorés qui avaient, quinze ans plus tôt, inspiré à Blaise de Fontsalte le doux prénom de Dorette. Depuis plus d’un an, elle ne s’était pas entendue appelée ainsi et sa maussaderie, dont se plaignait Guillaume, gras et rougeaud comme un abbé, toujours dispos, entreprenant, laborieux à l’excès, tenait surtout à l’absence prolongée de l’homme qu’elle n’osait même plus, dans ses secrètes pensées, nommer amant.
Après la défaite de Waterloo, elle avait été des mois sans nouvelles, jusqu’à ce qu’elle trouvât, en novembre 1815, au moulin sur la Vuachère, une longue lettre de Claude Ribeyre de Béran, qu’un mystérieux messager avait imprudemment glissée sous la porte. Le général annonçait que Fontsalte avait attendu en sa compagnie à Rochefort, jusqu’au 15 juillet 1815, le départ de Joseph Bonaparte pour les États-Unis en espérant, comme ce dernier, que Napoléon accepterait de passer, lui aussi, en Amérique. « Mais l’empereur, qui croyait encore à un changement de fortune, a préféré demander noblement un asile aux Anglais. C’était mal connaître la fourberie de ce peuple de boutiquiers hypocrites. Vous devez savoir, à l’heure qu’il est, Madame, comment les fils d’Albion conçoivent l’hospitalité que l’on doit à un soldat malheureux », avait écrit l’ami de Blaise.
Le message de Ribeyre était surtout destiné à informer M me Métaz que Fontsalte s’était, lui, embarqué pour les États-Unis avec Joseph Bonaparte. Mais il ne s’agissait pas, pour le général, d’une installation définitive outre-Atlantique. Elle pouvait donc s’attendre à le revoir dans un délai plus ou moins
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