Helvétie
long. Blaise ne manquerait pas de lui écrire dès qu’il pourrait faire passer un courrier.
« Soyez assurée, et je me suis engagé à vous le dire à la demande réitérée de mon ami, que M. de Fontsalte ne vous oublie pas, que son plus cher désir – ce furent ses propres mots quand il monta à bord du brick le Commerce , le 15 juillet – est de revenir auprès de vous, au bord du Léman, oublier de trop longues fatigues et goûter à vos genoux la paix de votre heureux pays. »
Depuis, Charlotte avait reçu deux lettres de Blaise, dans lesquelles le général racontait son départ de Rochefort, son arrivée à New York, l’établissement du roi Joseph à Philadelphie et sa propre installation à Boston, où il avait trouvé, pour subsister, un emploi de maître de français. Il se préparait à recevoir Claude Ribeyre et n’osait fixer de date pour son retour, « les sbires de Louis XVIII ne souhaitant rien plus que mettre la main au collet des anciens officiers des Affaires secrètes, afin de les livrer au peloton d’exécution » !
L’océan, que le destin mettait entre Charlotte et son amant, conjuguait pour cette femme gâtée par la vie, l’espace et le temps. De la même façon que les Terriens perçoivent la lumière venue d’étoiles déjà mortes, les messages de Blaise semblaient émaner d’un être aussi désincarné qu’un souvenir. Les journaux avaient beau vanter l’organisation récente du service postal aux États-Unis, une lettre mettait de six à huit semaines pour parvenir à Lausanne. L’homme dont elle lisait les mots tendres était-il encore celui qui les avait écrits ?
La rencontre de cette dame anglaise, si parfaitement « comme il faut », tellement à l’aise dans un salon et qui paraissait si heureuse, incitait Charlotte à des comparaisons irritantes. Physiques d’abord, car, d’après l’hôtelier qui avait vu les passeports de Mrs. Moore et de sa fille, la belle Elizabeth n’avait qu’un an de plus qu’elle ; sociales ensuite, parce que Guillaume, s’il eût été moins économe, aurait pu permettre à sa femme de mener, ailleurs qu’à Vevey, une vie comparable à celle des dames de la haute société britannique. M me Métaz ne pouvait s’ouvrir de ces choses qu’à Flora, sans cacher son amertume.
– Cette lady Elizabeth me paraît une femme si complète, si achevée dans sa féminité, que je me demande si elle a jamais été une petite fille, si jamais elle eut le menton barbouillé de confiture et les mains sales, si jamais elle a joué à la poupée. Elle semble être venue au monde ainsi que nous la voyons. Comme un être qui serait passé directement de la nursery au salon !
– De la nursery à l’alcôve, veux-tu dire, persifla Flora, qui avait tout de suite détesté l’Anglaise.
– On raconte, c’est Pernette qui le tient d’une femme de chambre des Trois-Couronnes, que lady Elizabeth a des moyens secrets pour préserver sa beauté des atteintes du temps. Car, hein, nous avons à peu près le même âge, toutes les trois !
– Des moyens secrets !
– On dit que, pour avoir les narines minces et serrées, elle passe des heures avec une pince à linge au nez ! Que, pour conserver des chevilles fines, elle les bande tous les soirs et dort les jambes en l’air ! Que, pour aviver son teint, elle s’applique sur les joues des rondelles de concombre ! On a vu sa camériste en acheter au marché des quantités, alors que ces dames prennent tous leurs repas au restaurant de l’hôtel.
Ces recettes de beauté déclenchèrent l’hilarité de Flora et Charlotte en fut vexée.
Si M me Métaz avait été moins obnubilée par sa propre déréliction, elle aurait pu partager avec les Vaudois qui n’appartenaient pas à la classe privilégiée des inquiétudes plus concrètes. Les autorités fédérales ne cachaient pas que plusieurs cantons risquaient de connaître, en fin d’année, la famine oubliée depuis des décennies, si le temps, exceptionnellement humide et froid, compromettait de façon pernicieuse les récoltes. On murmurait que les blés, couverts d’une grosse épaisseur de neige pendant l’hiver précédent, manquaient de force, que le vignoble souffrait d’une pluviosité excessive et d’un manque tragique de soleil. On espérait, certes, les bienfaits d’un été capable de compenser de telles déficiences climatiques mais Simon Blanchod, qui
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