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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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se passait à La Tour-de-Peilz, dit simplement la doyenne des invitées.
     
    – J’ai souvent entendu mon oncle, alors portier des Lettres, on dirait aujourd’hui commis des Postes, parler de M. Beckford dont la prestance, l’élégance et l’extrême courtoisie semblaient beaucoup l’impressionner, compléta Élise Ruty, qui avait tout de suite éprouvé de la sympathie pour les deux Anglaises.
     
    – Sir William est en effet un être tout à fait exceptionnel, confirma Elizabeth en s’animant. Il est surtout connu chez vous comme auteur de Vathek , conte arabe, dont une nouvelle édition française vient de paraître, grâce à l’un de vos compatriotes ami de l’écrivain, le pasteur David Levade. J’en ai vu un exemplaire chez un libraire de Lausanne, où lord Beckford a souvent résidé depuis son veuvage. M. Beckford, qui ne s’est jamais consolé de la mort de sa femme, est présentement âgé de cinquante-six ans et vit retiré du monde dans sa splendide demeure de Fonthill, près de Salisbury. Son goût et sa connaissance de l’art et des mœurs orientaux – il a traduit des manuscrits arabes en français et en anglais – l’ont fait surnommer le calife de Fonthill. Et croyez-moi, mesdames, il savait être, avant son malheur, aussi fastueux qu’un sultan.
     
    Cette assertion incita les Veveysannes à presser l’Anglaise d’en dire plus. Lady Elizabeth y consentit de bonne grâce :
     
    – En 1781, année de sa majorité, M. Beckford donna pour Noël une fête, qui dura trois jours et trois nuits, dans le hall égyptien de son immense demeure. Mes parents, invités, logeaient au château. Toutes les portes et fenêtres avaient été closes, les rideaux tirés et nul visiteur n’était admis à jeter même un simple regard dans les salons. Ma mère racontait que, les invités, tous jeunes et beaux, s’étant engagés à ne jamais évoquer autrement qu’entre initiés ce qu’ils avaient vécu pendant ces trois jours… et ces trois nuits, rien ne transpira de la folle magnificence de lord Beckford.
     
    – Que de mystère, vraiment ! remarqua la femme du pasteur, imaginant des diableries derrière les rideaux tirés.
     
    – Comme cela devait être amusant ! dit Élise Ruty, l’œil pétillant.
     
    Mrs. Moore approuva d’un signe de tête et d’un sourire la dernière appréciation.
     
    – À la fin de sa vie, mon père, se souvenant de sa jeunesse joyeuse, nommait cet épisode féerique, digne d’après lui d’un conte des Mille et Une Nuits , le Grand Sabbat du Palais des Cinq Sens, ce qui, aujourd’hui encore, vous l’imaginez, mesdames, éveille toujours la curiosité de ceux et celles qui, comme moi, n’étaient que bébés en ce temps-là. Ma mère, excellente musicienne, disait avoir conservé dans l’oreille les chants qui montaient du hall où se produisaient les trois plus grands chanteurs italiens du moment : Pacchierotti, Tenducci et Rauzzini. Quant aux mets orientaux, aux pâtisseries suavement parfumées, aux friandises tout miel et pâte d’amandes, ah ! mesdames, il y avait, paraît-il, de quoi se faire Turc sur l’heure !
     
    À cette évocation, les plus jeunes des invitées gloussèrent sans retenue. Non seulement le récit de lady Elizabeth Moore les avait intriguées par son mystère, mais le ton exalté de la narratrice les subjuguait, au point qu’elles oublièrent la défunte Margaret Beckford dont le décès, vieux de trente années, justifiait la présence à Vevey de lady Elizabeth et de sa fille Janet.
     
    Pendant l’exposé de sa mère, cette dernière n’avait pas cessé de grignoter des gâteaux secs en jetant sur les tableaux qui décoraient le salon des regards détachés. « Peut-être a-t-elle entendu cent fois ce récit, ou sait-elle que les mystères du Palais des Cinq Sens devaient plus aux démons de la Sublime Porte qu’aux séraphins britanniques ! » se dit Charlotte. Elle eût aimé questionner la jeune fille sur les amusements actuels des demoiselles anglaises.
     
    Lady Elizabeth, revenant à son propos initial, expliqua qu’elle avait pour mission de vérifier que l’urne contenant les entrailles de sa cousine trop tôt disparue était toujours ensevelie dans le temple de La Tour-de-Peilz et que ces restes n’avaient subi aucune injure au cours des révolutions, « ni lors du passage des Français qui haïssent si fort tout ce qui est anglais », précisa-t-elle. Déjà, on lui avait

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