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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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cela prenait une douzaine d’heures ! C’est peut-être pourquoi, aujourd’hui, je me tiens si droit ! Je devais, chaque soir, en sa présence, lire la Bible à haute voix et quand, tombant de sommeil, je sautais une ligne ou ne mettais pas l’intonation requise, elle envoyait son carlin me mordre les mollets !
     
    – Peut-être était-ce un jeu sans méchanceté ? risqua Axel, stupéfait par ce tableau familial.
     
    – Ni jeu ni méchanceté. Méthode d’éducation. Mais, quand mon père me donna mon premier fusil – je devais avoir onze ans – ma première cartouche fut pour le carlin. Je l’attirai dans un bosquet et le truffai à bout portant ! Il expira à mes pieds et je l’enterrai sur place. Je vous montrerai l’endroit où pourrit ce maudit chien, dont ma mère ignora toujours le sort !
     
    – Et vos études, monsieur, furent-elles intéressantes ?
     
    – Elles furent celles de tout garçon de la noblesse. Beaucoup d’amusements et peu de travaux ! Ma mère aurait voulu que je fusse ministre du culte. Grâce à ses relations, elle eût fait de moi un évêque, mais elle mourut heureusement avant d’avoir pu imaginer que son fils deviendrait le garnement le plus dissipé du comté et, plus tard, un dilettante bien décidé à ne régler sa vie et ses mœurs que suivant son bon plaisir ! Quand mon père mourut d’une crise d’apoplexie en me laissant ses propriétés, ses chevaux, sa meute et cent cinquante mille livres, une vraie fortune, j’ai béni le vieil épicurien et remercié ma mère de m’avoir, à jamais, dégoûté de la vertu.
     
    – Il semble que cela ne vous ait pas mal réussi. Vous donnez l’impression d’un homme heureux, remarqua Axel.
     
    – Méfiez-vous des impressions, Axel. Elles peuvent être trompeuses, dit sir Christopher, le sourire ambigu.
     
    Et, pour prouver que son conseil était amical, voire affectueux, il étendit le bras au-dessus de la table et glissa ses doigts secs sous la manchette du garçon pour lui caresser le poignet. Le fils Métaz vit dans ce geste une pure manifestation de sollicitude.
     
    Chantenoz, qui passait son temps dans la bibliothèque ou à courir les libraires entre deux cours de français à Janet, comprit le premier que les attentions, cadeaux, invitations, confidences que sir Christopher réservait à son élève déplaisaient à lady Moore.
     
    Les journées de cette dernière étaient occupées par des courses dans les magasins, des thés avec les amies perdues de vue depuis des mois, les bonnes œuvres, négligées durant son séjour en Suisse. Elizabeth se rendait, presque chaque matin, à l’hôpital pour enfants malades nécessiteux que sa grand-mère avait fondé au siècle précédent.
     
    Janet, en revanche, semblait ravie par l’entente spontanément établie entre Axel et sir Christopher.
     
    – Lui qui est toujours si difficile sur les garçons, surtout quand ils sont étrangers – il déteste les continentaux et ne peut pas supporter les Américains – semble avoir complètement adopté Axel. J’en suis si heureuse ! dit-elle, un matin, à Martin.
     
    La jeune fille se plaisait maintenant à rêver qu’elle pourrait épouser Axel, passer à Londres le temps de la saison et partager le reste de l’année entre les bords du Léman, où elle avait vu de beaux châteaux, où l’air paraissait si léger et si pur, où la vie se déroulait avec une indolence bucolique, et Pendlemoore, pour s’occuper des fleurs et chasser à courre.
     

    Après quelques semaines, Axel fit observer à son précepteur, avec une évidente satisfaction, que les rapports entre sir Christopher et sa femme n’étaient pas du tout ceux qui existent habituellement entre gens mariés !
     
    – Ils semblent étrangers l’un à l’autre. D’ailleurs, dans cette maison, tout le monde a l’air d’être de passage, dit Axel, au cours d’une promenade avec Martin sur les quais de la Tamise.
     
    – Nous sommes dans une autre société que la nôtre, mon garçon, dans un autre monde régi par des règles différentes de celles que nous connaissons dans la bourgeoisie vaudoise. Mais, attention, c’est un monde plein d’artifices, égoïste, amoral et… corrupteur.
     
    – Comment ça, amoral et corrupteur ? demanda brutalement Axel.
     
    Chantenoz ôta ses lunettes, polit les verres, puis s’accouda au parapet, laissant errer son regard sur le fleuve encombré de bateaux de tout tonnage. Quand il

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