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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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l’intérieur capitonné de soie parme ressemblait à un boudoir roulant et fleurait la lavande, Christopher conduisit le garçon chez son tailleur de Savile Row et lui offrit une garde-robe complète.
     
    Costume du matin, redingote d’après-midi, tenue de soirée : tous les vêtements indispensables à un jeune Londonien de la bonne société furent coupés et cousus pour Axel en un temps record. Sir Christopher assistait aux essayages, donnait avis et conseils, s’assurait avec des gestes de nourrice de l’aisance des entournures et des entrejambes. Il apprit à celui qu’il nommait « mon jeune ami » à reconnaître les bons tissus de laine fine, les tweeds, les cachemires, à choisir un voile de coton pour chemise, une soie pour cravate, une batiste pour mouchoir. Il l’entraîna dans Jermyn Street, chez son bottier et son chapelier, lui fit fumer un premier cigare et boire un premier porto. Chaque fois qu’ils sortaient ensemble, Moore emmenait Axel prendre le lunch au White’s, un club de Saint James Street, dont le père de Christopher avait été membre fondateur. Ce rappel incita Axel, très à l’aise avec son hôte, à poser des questions sur la famille, les parents du lord, tous deux décédés.
     
    Christopher s’exprima avec bonne grâce et franchise :
     
    – Mon père était grand amateur de chasse à courre, de bonne chère et de femmes. Chasser le renard, manger gras et trousser les caméristes étaient les seules occupations qui justifiaient, à ses yeux, la présence de l’homme sur cette terre de misère ! Il se goinfrait de gibier, de fromage de Stilton et vidait, comme notre cher docteur Johnson, ses vingt ou trente verres de porto à l’heure du dîner ! Quand nous étions à Londres, où il passait le moins de temps possible, il guettait l’arrivée des rapports de ses piqueurs avec l’impatience d’un amoureux attendant les lettres de sa maîtresse ! Il riait d’un rire effrayant et, à table, tordait les fourchettes quand un mets n’était pas à son goût ! Il ne supportait pas de voir une femme manger…
     
    – Comme lord Byron, coupa Axel, intéressé au plus haut point par les confidences du lord car il avait conscience, depuis qu’il était en Angleterre, d’apprendre une autre vie que celle vécue à Vevey.
     
    Le baronet sourit, sans s’offusquer de l’interruption.
     
    » Comme lord Byron peut-être ; en tout cas, mon père ne prit jamais un repas avec ma mère. En revanche, il festoyait pendant des heures avec ses amis, chasseurs et jouisseurs comme lui. Au cours de ces agapes, dignes de la cour de Byzance, ces hommes racontaient des histoires salées qui faisaient rougir les domestiques. La nuit venue, il arrivait que Pendlemoore retentît de grands cris à l’étage des bonnes. Mon père enfonçait les portes des chambres de celles qui refusaient d’assouvir ses désirs. Si l’on ajoute à cela qu’il était rat comme un Écossais dès qu’il s’agissait de dépenser pour autre chose que ses fusils, ses chevaux, ses chiens ou sa table, vous avez le portrait résumé de mon père. Ce taureau me tenait, bien sûr, pour un avorton et ne m’adressait pas la parole plus de trois fois par an : les jours d’ouverture et de fermeture de la chasse et pour mon anniversaire.
     
    – Mais votre mère ? J’ai vu un tableau qui la représente : elle avait l’air douce et gentille, dit Axel, un peu interloqué par le portrait que sir Christopher venait de brosser de son père.
     
    – Ma mère, qui affichait en tout des conceptions antinomiques à celles de son mari, n’était pas plus gracieuse, contrairement à ce que donne à penser le peintre. Une parfaite puritaine, sèche, résignée, qui se rassurait en pensant que son infortune conjugale lui vaudrait une place de choix au paradis. Comme elle entendait compenser les déficiences paternelles en matière d’éducation, elle me tenait en permanence sous sa férule vertueuse et me conduisait sans tendresse, afin de m’enseigner la rigueur morale et les manières qui faisaient tellement défaut à son époux. Ainsi, voyez-vous, mon jeune ami, je ne reçus jamais de jouets, car, aux yeux de ma mère, en acheter équivalait à commettre un péché de futilité. Cette femme était, dans son genre, aussi dure que son mari et j’ai souvent voyagé, entre Pendlemoore et Londres, en retenant mes larmes parce qu’il m’était interdit de m’adosser à la banquette de la berline ! Et

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