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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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se retourna vers Axel, son visage marquait une gravité inhabituelle.
     
    – Crois-tu que je ne sais pas, depuis longtemps, quel genre de rapport tu entretiens avec Mrs. Moore et où celle-ci passe une partie de ses nuits ?
     
    – Ah ! Vous savez ! Vous avez entendu du bruit ! dit Axel, inquiet.
     
    – Je n’ai rien entendu parce qu’il n’y a pas besoin d’écouter aux portes pour savoir. Il suffit de t’observer quand tu la regardes. Elle sait dissimuler, pas toi.
     
    – Croyez-vous que sir Christopher peut…
     
    – De ce côté-là, tu ne cours aucun risque. À mon avis, il se moque éperdument que sa femme dorme avec toi ou avec un autre. Et, s’il s’en est aperçu, il ne fera rien pour vous gêner : ses plaisirs et intérêts sont ailleurs. Et puis c’est un gentleman, n’est-ce pas, acheva Chantenoz, narquois.
     
    – Alors, où est le mal, Martin ? dit Axel, rassuré.
     
    – Le mal ! Le mal, c’est d’utiliser la pauvre Janet comme paravent, de jouer auprès d’elle les cavaliers servants, d’entretenir de fallacieuses illusions, de lui donner juste assez de considération et de tendresse pour qu’elle continue à croire l’amour possible entre elle et toi. Elizabeth se sert de sa fille comme un saltimbanque d’une marotte, pour détourner l’attention des gens ! Et tu tiens ton rôle dans cette comédie. Là est le mal, Axel, et je te mets en garde. C’est un jeu pervers, dangereux et assez peu digne d’un garçon comme toi.
     
    – Que faire, maintenant, Martin ? J’aime Eliza, elle m’aime : je ne veux penser à rien d’autre ! Mais je ne veux pas que Janet soit malheureuse.
     
    – Ne confonds pas l’amour et ses plaisirs. Les choses, Axel, se résoudront d’elles-mêmes. Les dieux fassent que ce soit sans drame !
     
    Contrairement à ce qu’aurait pu penser Chantenoz, Axel Métaz fut plutôt rasséréné par cette conversation. Soulagé de savoir son mentor au courant de ses relations amoureuses avec Mrs. Moore, conforté dans l’idée que sir Christopher était un mari indifférent, il se promit simplement d’ôter peu à peu à Janet les illusions que sa chère Eliza voulait qu’il entretînt dans l’esprit et le cœur de sa fille.
     
    Un soir, alors qu’assez exceptionnellement sir Christopher dînait en famille en rentrant avec Axel de chez le tailleur, la conversation vint sur les qualités physiques des hommes et des femmes. Janet dit avec une véhémence un peu niaise qu’Axel avait de beaux traits. Sir Christopher approuva et cita Chérophon parlant de Charmide à Socrate :
     
    – « Tout son corps est si beau que tu oublierais qu’il a un visage s’il voulait se dépouiller de ses vêtements », dit-il, d’un ton assez emphatique pour faire passer comme boutade ce qui pouvait être interprété d’autre façon.
     
    Chantenoz identifia la citation et vit la gêne d’Axel.
     
    – Hélas, j’ai l’œil vairon, lança ce dernier, confus et ne sachant que dire.
     
    – Cela ajoute à votre charme, cher garçon. L’œil bleu pour la tendresse, le brun pour la colère, n’est-ce pas, Janet ? dit Mrs. Moore, d’un ton définitif.
     

    Au cours de longues promenades avec Janet et sa mère, Axel découvrit Londres, énorme capitale de « plus d’un million d’habitants », d’après sir Christopher. Il trouva d’abord que la ville sentait le cheval. La quantité incroyable d’attelages, cabs, voitures, berlines, tombereaux, haquets, charrettes, calèches, cabriolets, carrosses et bêtes de selle montées par des gentlemen, raides comme des piquets, qui encombraient rues et avenues expliquait ce pénétrant parfum citadin. Comme il s’en étonnait, Janet intervint :
     
    – Les excréments des chevaux nourrissent les enfants pauvres et les oiseaux. Regardez : les premiers ramassent le crottin et vont le vendre aux jardiniers ; les seconds le picorent. Dieu a bien fait les choses, n’est-ce pas ! dit-elle, attendrie à la vue des gamins qui couraient entre les voitures, une pelle à la main, pour cueillir sur la chaussée les déjections fumantes de chevaux bien nourris, croupes luisantes et sabots cirés.
     
    – En effet, Dieu a bien fait les choses… surtout pour les oiseaux, répliqua Axel d’un ton aigre.
     
    Le Strand lui parut une artère aussi animée qu’une foire vaudoise ; moins attrayante cependant que Bond Street avec ses magasins de luxe dont les vitrines à petits carreaux

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