Helvétie
provisoirement, un bien Fontsalte. Personne, hormis celui qui les avait dérobés et dissimulés, ne connaissait l’existence de ces diamants et Fontsalte lui-même ignorait leur provenance. C’est pourquoi Blaise, qui n’avait rien d’un tire-laine, estima, sans léser quiconque, qu’il déciderait plus tard de l’usage à faire de cette petite fortune. En attendant, il choisit de musser les sachets dans une des cachettes du moulin sur la Vuachère.
Pendant que se déroulaient ces péripéties secrètes, séquelles de la chute de l’Empire, Guillaume Métaz et ses collègues de la Confrérie des Vignerons, que l’on préférait appeler, par référence au passé, Abbaye des Vignerons, débordaient d’activité. La fête des Vignerons, événement majeur, n’avait pas été organisée depuis 1797 2 . Dès 1816, des Veveysans avaient pensé la rétablir, mais les guerres européennes, la crise économique puis la disette avaient réduit les ressources et refréné les ardeurs. Maintenant, les promesses d’une nouvelle prospérité stimulaient les membres de la Confrérie. Il fallait non seulement que la fête de 1819, la première du siècle, renouât avec la tradition, mais qu’elle fût, à travers l’exaltation de la vigne et du vin, un hommage à l’Helvétie qui, dans sa maturité sagement mais parfois douloureusement acquise, prouvait à l’Europe que les hommes peuvent jouir de la liberté sans licence et faire du travail et de la concorde une règle de vie capable de conduire les peuples au bonheur.
Au cours de l’année 1818, le canton de Vaud parut illustrer mieux qu’aucun autre ces principes. La reprise des affaires, la stabilité politique, des récoltes abondantes renouvelèrent la confiance que les Vaudois avaient dans leur destin privilégié.
Seule la nature manifesta une colère dévastatrice dans le canton voisin, le Valais, quand, le 16 juin, les eaux de la Dranse, à la suite d’une crue subite, déferlèrent dans la plaine du Rhône et inondèrent Martigny. L’énorme barrage de glace constitué, dans la partie supérieure de la vallée de la Dranse, par la glissade du glacier de Giétroz s’était rompu sous la poussée des eaux accumulées par la fonte des neiges. Cette rupture avait provoqué une gigantesque débâcle. Le val de Bagnes, noyé sous un déferlement d’eau noire qui charriait des arbres déracinés et des cadavres de vaches, était devenu un immense champ de boue. Plusieurs semaines furent nécessaires pour connaître l’étendue des dégâts et le gouvernement cantonal organisa une collecte pour venir en aide aux victimes.
Guillaume Métaz, un des fondateurs du nouveau Cercle du Marché, qui réunissait les bourgeois veveysans, se fit remarquer par ses dons et son dévouement.
Axel, maintenant bien adapté à la vie lausannoise et très assidu aux cours de l’Académie, gagna, cette année-là, à la grande satisfaction de son père, son premier argent de poche en donnant des répétitions d’anglais à des employés de banque et à des demoiselles de la bourgeoisie. Chaque dimanche, il arrivait à Rive-Reine par le lac à bord de sa barque abritée pendant la semaine au port d’Ouchy. Le lundi à l’aube, quel que fût le temps, il embarquait pour Lausanne, avec les provisions préparées par Polline, ayant au cœur le sentiment de retrouver la liberté du solitaire. Il formait souvent des projets de voyage, car, certains jours, ce que Chantenoz nommait le provincialisme vaudois commençait à lui peser. La fête des Vignerons allait créer une animation exceptionnelle.
Le 21 janvier 1819, par cent huit voix contre sept, le conseil municipal de Vevey avait autorisé la Confrérie des Vignerons à organiser la fête les 5 et 6 août.
Dès les premiers jours de mai, on avait engagé un maître à danser, David Constantin, et un maître de musique, David Glady, un Français établi depuis 1816 à Vevey. Ces messieurs faisaient répéter les figurants – sept cent trente garçons et filles – arrangeaient les musiques, réglaient tableaux et cortèges. Bergers, jardiniers, armaillis, vignerons, bacchantes, silènes, encadreraient Palès, Cérès et Bacchus et la noce villageoise fermerait le défilé. Pour la première fois, une tribune gigantesque, capable d’accueillir deux mille spectateurs, serait construite, côté lac, sur la place du Marché, face à la Grenette. Des dames puritaines et quelques pieux
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