Helvétie
tort à son mari. Enfin, en commettant l’adultère, elle s’est conduite en prostituée. Elle sera donc présentée au jugement de l’assemblée et l’on enquêtera sur ses enfants. Après sa mort, on maudira encore son souvenir. »
– Et… que comptes-tu faire ? demanda Simon, effrayé à l’idée que Guillaume, dont il partageait la foi protestante, pourrait s’inspirer du proverbe du fils de Sirac pour faire fustiger publiquement Charlotte par la communauté.
– Il est indéniable que Charlotte a désobéi à la loi du Dieu Très-Haut et qu’elle me cause, en tant que mari, un tort considérable. Néanmoins, je ne la considère pas comme une prostituée, mais comme ce qu’elle est : une épouse adultère qui m’a donné un héritier conçu par un autre homme. Elle n’est donc plus digne d’être ma femme ni la mère de mes enfants. C’est surtout en pensant à eux et au préjudice que le scandale pourrait causer à mes affaires que j’ai pensé en arrêtant une série de décisions.
Le sang-froid de Guillaume plaisait à Blanchod. Simon admirait que cet homme, dont l’honneur et les sentiments venaient d’être si douloureusement bafoués, pût considérer la situation non en mari et père trompé mais en homme d’affaires ayant à résoudre une rupture d’association !
Le même jour, à midi, Guillaume rencontra, comme prévu, le général Fontsalte au caveau. Les deux hommes, aussi gênés l’un que l’autre, ne surent tout d’abord comment engager la conversation. Blaise se dit immédiatement prêt à accorder réparation par les armes. Guillaume étant l’offensé n’avait qu’à choisir : l’épée, le sabre ou le pistolet.
– Vous me tiendrez peut-être pour un mari cocu et pleutre de surcroît, mais je ne conçois pas de réparation par le sang. Je désapprouve le duel qui ne fait qu’ajouter un scandale à un autre. Je laisse cette façon de faire à ceux qui n’ont d’autre exutoire. Je dois vous dire que j’ai simplement décidé de me séparer de M me Métaz. Elle est donc libre, désormais. Vous pouvez la rejoindre et faire votre vie avec elle, comme bon vous semble. Cela relève de votre responsabilité, j’allais presque dire de votre devoir. Elle n’existe plus pour moi. J’exige seulement, pour mes enfants et pour couper court à tout développement déplaisant, que vous ne réapparaissiez dans le pays de Vaud ni l’un ni l’autre avant longtemps ! Naturellement, il n’est pas question que vous revoyiez jamais Axel, qui est peut-être de votre sang, mais qui est mon fils pour l’état civil et pour mon cœur.
– Je l’ai vu hier pour la première fois et…
– Pour la première fois, dites-vous ?
– Oui. Jusqu’à hier matin, j’ignorais son existence !
– Cependant, vous êtes revenu dans le pays, depuis que… et vous avez revu… Charlotte souvent !
– Oui, plusieurs fois. Assez souvent même, mais, si je savais que M me Métaz était mère de deux enfants, je ne soupçonnais pas que l’on pût un jour m’imputer la paternité du garçon. Elle ne m’a jamais rien dit à ce sujet, je vous en donne ma parole d’honneur !
Guillaume resta un moment abasourdi et Fontsalte rompit le silence :
» En somme, si j’avais eu les yeux comme tout le monde, personne ne se fût jamais douté que ce garçon n’était pas de vous !
– Mais alors, comment avez-vous su ?
– Par un billet de M lle Baldini, qu’un gamin m’a apporté pendant la fête des Vignerons. D’ailleurs, le voici.
Guillaume lut avec attention. Puis il replia le papier, le rendit à Blaise et fit trois pas nerveux dans le caveau.
– Ah ! Martin avait bien raison de dire que cette Italienne est une sorcière. Voilà qu’elle est partie chez le pape, sous prétexte de se retirer du monde, maintenant que le mal est fait ! Bon débarras ! Mais, vous, pourquoi êtes-vous venu au caveau ? Pourquoi avez-vous voulu rencontrer mon garçon ? dit Guillaume, véhément.
– Parce que je voulais voir ce que sont les yeux Fontsalte chez un adolescent. Car notre défaut de vision est héréditaire. Guy de Fontsalte, mon ancêtre, qui accompagna Saint Louis en croisade, avait l’œil vairon. J’ai une fille qui a le regard vairon et les médecins prétendent que ce défaut n’apparaît jamais deux fois chez des enfants de la même génération, sauf s’ils sont
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