Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
Vom Netzwerk:
dans son havresac.
     

    Un crépuscule blafard embuait lac et montagnes quand Fontsalte regagna Rive-Reine en s’éclairant d’une lanterne. Évitant l’entrée principale de la maison, Blaise suivit la berge caillouteuse du lac, gravit un petit escalier et accéda au jardin-terrasse. Contournant la fontaine aux dauphins, il allait se diriger vers l’aile qui abritait sa chambre quand lui parvint, venant du rez-de-chaussée du corps de logis principal, la voix d’une femme qui chantait, en s’accompagnant au piano, une mélodie française à la mode, qu’il avait déjà entendue dans un salon dijonnais. En évitant de faire crisser le gravier, il approcha d’une porte-fenêtre entrouverte. À la lueur des chandelles, il découvrit que la chanteuse n’était autre que M me  Métaz.
     
    Plaisir d’amour ne dure qu’un moment ,
    Chagrin d’amour dure toute la vie 1 ,
     
    disait le refrain de la chanson et la chanteuse y mettait assez de sentiment pour qu’on pût imaginer qu’elle ressentait intimement la tristesse de cette constatation !
     
    Un instant plus tôt, Fontsalte ne pensait qu’à dormir, mais la voix de cette femme, dont il n’entrevoyait que le buste penché sur le clavier et les avant-bras blancs, l’incita à répondre à l’invitation formulée quelques heures plus tôt. Il attendit que le chant s’achevât, suivi de quelques bravos et d’un brouhaha admiratif, pour signaler sa présence en frappant au carreau. Le bruit sec de sa chevalière sur le verre provoqua un silence soudain et une silhouette masculine massive se profila derrière les vitres, suivie de celle, plus frêle, de M me  Métaz. Avant même que l’homme ait eu le temps de formuler un étonnement compréhensible, Charlotte Métaz reconnut l’officier et intervint gaiement :
     
    – Comme c’est gentil… Nous vous attendions ! Entrez, capitaine, que je vous présente mes amis.
     
    La pièce, un grand salon pourvu d’une cheminée où flambaient de grosses bûches, était chichement éclairée. En plus du candélabre posé sur le piano à queue, on ne comptait que deux chandeliers. La clarté du feu de bois ajoutait, opportune, par ses reflets mouvants, un peu de lumière, mais, tant que les yeux de Fontsalte ne furent pas accoutumés à la pénombre, les visages conservèrent leur mystère.
     
    Dans cette ambiance ténébreuse et douillette, le capitaine s’inclina devant la seule autre femme présente, une brune, qui lui parut un peu plus âgée que l’hôtesse, petite, sèche, regard noir et impertinent, teint mat, nommée Flora Baldini.
     
    – Mon amie d’enfance, ma meilleure amie. Je pourrais dire ma sœur, crut bon de préciser M me  Métaz.
     
    L’homme, grand et fort, qui avait le premier répondu au coup frappé à la porte se nommait Simon Blanchod. Blaise lui donna d’emblée la cinquantaine. Ses cheveux blancs, abondants, drus et frisés, prenaient à la lueur du foyer des reflets argentés. Blanchod offrait un visage large, charnu, un nez protubérant que Blaise imagina turgescent comme celui de bon nombre de vignerons qu’il avait rencontrés depuis son arrivée au pays de Vaud. M me  Métaz le présenta comme l’homme de confiance de son mari, intendant des vignobles et teneur de livres. Fontsalte apprécia le sourire placide et la poignée de main puissante du Vaudois. Moins plaisant lui parut l’autre personnage que M me  Métaz dut extraire du fauteuil qu’il n’avait pas daigné quitter à l’entrée du visiteur. Tirant par la main un garçon ébouriffé qui fumait une pipe à long tuyau, comme celles des étudiants allemands, Charlotte Métaz l’amena devant Fontsalte.
     
    – Capitaine, voici notre poète, Martin Chantenoz. Le Messager boiteux , notre fameux almanach fondé en 1708, publie chaque année une œuvre de son cru et M. de Goethe l’honore de son estime. C’est aussi un savant polyglotte, un voyageur, mais c’est avant tout notre meilleur ami, mon ami d’enfance…
     
    – Tu pourrais dire ton frère, persifla l’homme en jetant un regard moqueur à celle que l’hôtesse venait de qualifier de sœur.
     
    « Il paraît certainement plus que son âge », pensa Blaise en considérant l’homme chétif et sec, un peu voûté, dont le regard de myope se diluait dans les reflets allumés par les flammes sur ses verres de lunettes.
     
    Invité à s’asseoir près de M me  Métaz, le capitaine, ayant abandonné manteau, pelisse, colback et

Weitere Kostenlose Bücher