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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Guerre du Péloponnèse de Thucydide, la République et le Banquet de Platon, et l’Astrée , dix-sept volumes écrits par un pays, Honoré d’Urfé, dont le château de La Bastie, tout voisin de Fontsalte, menaçait ruine lui aussi. Les rayons de la bibliothèque du marquis avaient été autrefois mieux garnis, mais les belles éditions gainées de cuir patiné, dorées sur tranches, frappées aux armes des Fontsalte – « d’azur à deux yeux, l’un d’or l’autre d’argent, chacun surmonté d’une étoile de sable et accompagnés en pointe d’une eau jaillissante d’or » – comme les incunables, hérités d’ancêtres dévots, avaient été transformés, au fil des années de misère, par les soins empressés d’amateurs rusés ou de libraires fripons, en sucre, en café, en chandelles, en remèdes.
     
    Instruit, bon orateur, persuadé que la monarchie devait se réformer ou disparaître, Bertrand de Fontsalte, plume facile, avait participé, avec un notaire et un curé, à la rédaction du cahier de doléances du tiers état local. Cependant, ce noble miséreux, même dépenaillé comme il allait, sentait l’aristocrate à vingt pas, jusque dans sa façon de boiter, de siffler son chien, de reprendre son souffle. Quand il voulait se montrer aimable chez les humbles et les entretenir avec conviction de la tragique égalité des hommes devant la faim, la soif, la maladie et la mort, ce qui justifiait de façon suffisante à ses yeux vairons l’égalité de tous devant les lois, ses paroles sonnaient comme tirade de bateleur ou boniment de sermonnaire.
     
    Cependant, sa guerre d’Amérique l’ayant rendu populaire, quand il s’était agi de désigner les délégués de la province aux états généraux, qui devaient se tenir à Versailles le 5 mai 1789, il avait été spontanément choisi par les gens du tiers état pour les représenter alors que les nobles de la région envoyaient à Versailles son pire ennemi, un riche propriétaire de la plaine. C’est ainsi que Fontsalte avait été amené à signer, le 20 juin 1789, le procès-verbal de la séance historique du Jeu de paume. De retour en Forez, tandis que la plèbe parisienne prenait la Bastille, il avait mis le comble à sa déraison en amputant, dans un grand élan républicain prématuré, lyrique et stupide, son patronyme de la particule, en renonçant au titre de marquis pour se faire appeler Fontsalte tout court, comme un cul-terreux.
     
    Sans l’intervention de la marquise, qui avait menacé ce jour-là de s’aller noyer dans la Loire avec sa fille, il eût fait échopper les armoiries de ses pères, sculptées en haut relief au linteau de la poterne d’un donjon branlant devenu, avec le temps, carrefour des vents, rendez-vous des musaraignes, havre des hiboux.
     
    Malgré l’inconfort dans lequel vivaient les siens, ce qui rendait mélancolique cet homme de cœur, le ci-devant marquis n’avait eu de cesse de voir grandir son fils, afin d’en faire au plus tôt un soldat, ce qui donnerait une position au garçon, en allégeant les charges de la famille. La robustesse et l’endurance de Blaise, garçonnet vif et intrépide, étonnaient tous ceux qui connaissaient le régime alimentaire des Fontsalte. Le marquis avait aussi vu dans ce choix, accepté avec enthousiasme par l’enfant, le moyen de continuer à combattre, par rejeton interposé, les ennemis de la France et de la Révolution naissante.
     
    C’est ainsi que Blaise de Fontsalte avait été envoyé, comme boursier, dès l’âge de huit ans, à l’École royale militaire d’Effiat, fondée en 1627 par le maréchal d’Effiat et dirigée par les oratoriens de Riom. Ces derniers, qui n’étaient pas des tendres, logeaient leurs soixante boursiers, « enfants de la noblesse pauvre », comme les fils de familles aisées, dans des cellules séparées, ne leur donnaient aucun congé pendant les six années d’étude, pratiquaient une pédagogie « rude et rigoureuse », propre à « endurcir le tempérament et inspirer le courage qui est peut-être autant vertu d’éducation que don de nature ». Sous la férule des oratoriens, Blaise de Fontsalte avait appris le latin, l’histoire, la géographie, les mathématiques, l’allemand et l’anglais, le dessin, la musique, l’escrime, la danse, un peu de mécanique, l’art de la guerre qui comprenait dessin de paysage, fortifications, topographie, castramétation et lecture des cartes et plans. Cet

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