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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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enseignement était coupé de grandes courses viriles, hiver comme été, dans la campagne bourbonnaise. Comme ses camarades, Blaise avait lu tous les auteurs classiques « sans perdre de temps aux vers et aux amplifications de rhétorique » comme l’exigeait le règlement, appris par cœur le catéchisme de l’abbé Fleury et reçu des rudiments de philosophie « en écartant les superfluités métaphysiques ». Il avait aussi assisté à la messe chaque matin et s’était confessé de ses péchés une fois par mois. Les repas, sans être raffinés, avaient l’avantage sur les menus de Fontsalte d’être copieux et roboratifs.
     
    Quand, en 1793, un décret de la Convention avait chassé les religieux des bâtiments de leur collège déclarés Biens nationaux depuis 1789, Blaise était rentré à Fontsalte avec le titre de cadet-gentilhomme, qui lui ouvrait les corps de troupes avec le grade de sous-lieutenant. Il avait trouvé son père heureux de le revoir mais fort en colère contre la société. Le marquis réprouvait maintenant, avec une dangereuse véhémence, les excès de la Révolution et ne comprenait pas que Rochambeau, fait maréchal de France en 1791, mais en désaccord avec Dumouriez, eût été contraint de démissionner en 1792 après qu’on lui eut injustement reproché son échec à Quiévrain, alors qu’il commandait l’armée du Nord. Bertrand de Fontsalte avait rendu visite au héros de la guerre de l’Indépendance retiré sur ses terres de Vendôme.
     
    La rupture des Fontsalte avec les zélateurs d’une révolution devenue terreur sanguinaire avait été consommée quand, en octobre 1793, on avait appris l’arrestation de Rochambeau par les sbires de Fouquier-Tinville, puis, en novembre, la publication, en Forez comme ailleurs, du décret ordonnant la célébration du culte de la déesse Raison. Aux exploits sanguinaires les suppôts de Javogues avaient ajouté la bêtise et le vandalisme. La destruction du superbe jubé de pierre de la collégiale de Montbrison, abattu à coups de marteau, pour faire place à une estrade où s’étaient succédé les palabreurs démagogues, le bris des vitraux, dont on avait récupéré les plombs comme les tuyaux des orgues, pour faire des balles, le concassage des cloches, étaient apparus comme autant d’actes criminels. Bertrand de Fontsalte avait osé le dire et le répéter à haute voix. Il eût été arrêté par les agents de Javogues, pourvoyeur dément de la guillotine départementale, si les braves gens qui avaient autrefois envoyé le marquis à Versailles et que la Terreur venait de dégriser n’avaient organisé la fuite des Fontsalte. Cachés dans la plus misérable de leurs fermes, dans les monts du Forez, Bertrand et les siens avaient attendu, nourris par les paysans, que les têtes de Javogues et de Robespierre tombassent sous la lame d’acier dont ces exaltés avaient tant vanté le pouvoir purificateur !
     
    Quand, en 1795, ils avaient regagné la plaine et leur château, vidé de ses meubles, pillé par les vandales et un peu plus délabré, le marquis, déçu et affligé par la bassesse et la méchanceté des hommes qui avaient souillé du sang des justes les belles idées révolutionnaires, s’était alité pour mourir. Sa dernière joie avait été de voir à son chevet le vainqueur de Yorktown, libre et tout fier que son fils Donatien, lieutenant général, eût réprimé la révolte de Saint-Domingue et chassé les Anglais de la Martinique. C’est au vieux maréchal, âgé de soixante-dix ans, qui ne pensait plus qu’à écrire ses Mémoires, que le marquis avait confié le destin de Blaise.
     
    Quelques semaines après la mort de son père, l’héritier des Fontsalte avait rejoint l’armée du Rhin, pour se mettre aux ordres du général Jean-Joseph-Ange d’Hautpoul, qui comman dait la cavalerie de Moreau. Le garçon, qui venait tout juste d’avoir seize ans, avait participé avec brio à sa première bataille, celle d’Altenkirchen, le 4 juin 1796. Il s’était bien battu et avait reçu de Moreau les galons de lieutenant, quelques jours avant que ce dernier connût la disgrâce. Quand, en avril 1798, après avoir renoncé à envahir l’Angleterre, Bonaparte avait décidé de conquérir l’Égypte, le jeune officier qui ne rêvait que voir le monde, courir l’aventure et approcher les filles de Schéhérazade, dont il avait vu l’image dans un livre que sa mère dissimulait aux regards des

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